En Formule 1, lorsqu'on évoque les carrières des pilotes, nous avons tendance à évoquer la destinée. Tout n'est pas forcément écrit à l'avance en F1, au contraire, son monde est fait d'imprévus...

Une carrière d'un pilote se construit sur des choix sur l'instant ou à l'instinct, ce faisant, le pilote décide souvent de son sort. Leurs carrières prennent une tangente et un envol soudain par le fait de situations inattendues… C'est exactement ce qu'a vécu le jeune Michael Schumacher (22 ans lors de son premier Grand Prix) qui fut soutenu par Mercedes pour ses débuts en Prototype. Il avait les ferveurs des observateurs du paddock de la F1, son arrivée au plus haut sommet du sport automobile n'était qu'imminente.

Spa 1991 : l'histoire belge !

C'est ce qui se déroula ce week-end de course d'août 1991, en Belgique, lorsqu'un baquet fut laissé vacant… par un pilote belge. Bertrand Gachot est un de ces pilotes qui aurait pu laisser une empreinte forte à la F1, mais sa mission a échoué, un rendez-vous manqué, comme la discipline en comptabilise quelques-uns par décennies.

Né un 23 décembre 1962 au Luxembourg (d'un père français et d'une mère allemande), Bertrand Gachot court néanmoins sous licence belge en ayant une nationalité française. Il a été un de ces pilotes de Formule 1 dont la carrière a connu des rendements erratiques et fortunes diverses. Mais comme beaucoup de nos nouveaux arrivants, ses performances peu flatteuses ne sont dues qu'à son matériel souvent en deçà de la concurrence.

C'est avec une certaine fierté qu'il essaiera de succéder au très populaire Jacky Ickx, voire faire de l'ombre à l'autre belge du paddock : Thierry Boutsen. Loin d'être arrivé par hasard en Formule 1, il a scrupuleusement suivi le cursus des formules de promotion d'alors avec brio.

Un titre en 1986 dans le championnat britannique de Formule Ford, puis vice-champion en 1987 de Formule 3 britannique derrière un certain Johnny Herbert, il décrochera l'accessit en 1989 au sein d'une petite structure, Onyx, laquelle aura bien du mal à qualifier ses monoplaces en Grand Prix.

La Formule 1 artisanale

Néanmoins grâce à leur pugnacité, les deux pilotes inscrivent leurs monoplaces sur les grilles de départ pour disputer ensemble le Grand Prix de France. Gachot terminera la première course à laquelle il participe, son coéquipier d'époque (Stefan Johansson) se classe 5e. Ceci étant, l'idylle éclatera avant même le terme de la saison, et le pilote belge ira trouver refuge chez Rial Racing pour l'ultime course de la saison 1989.

La saison 1990 ressemble en tous points à un naufrage dans sa jeune carrière si l'on se réfère uniquement à son choix d'écurie, la structure italienne Coloni Racing. Déjà en proie à des difficultés financières (et de management) sur l'année qui vient de s'écouler (1989) l'adoption de deux châssis et la conséquence de la non-gratuité de la fourniture pneumatique (Pirelli) vont définitivement grever le budget déjà un peu étriqué. L'écurie italienne se laisse tenter pour l'exercice 1990 à la prise de participation (à hauteur de 51 % des parts) par le constructeur japonais Subaru, avec à sa charge la conception de la motorisation.

Premier couac, Subaru n'est pas en mesure d'assurer la conception de ce moteur, et délègue le fardeau à Mori Moderni (un 12 cylindres à plat), et maintient son projet de motorisation maison en faisant preuve de procrastination.

Hélas aucune qualification ne viendra sauver les velléités de la structure italienne, Subaru jette l'éponge afin de ne pas dégrader son image sportive (avec une autre aventure en Rallye qui les attend) et le V8 Cosworth est adopté pour terminer la saison, sans la moindre qualification pour récompense.

Bonne année 1991 !

S'il fallait une année charnière, celle où la carrière d'un pilote peut prendre un envol spectaculaire, 1991 est alors celle de Bertrand Gachot. Recruté par la débutante écurie Jordan Grand Prix, et très prometteuse (Eddie Jordan associé avec le talentueux Gary Anderson) malgré un faible budget, c'est une année pleine d'exploits que s'apprêtent à réaliser Gachot et De Cesaris (son coéquipier).

Si Gachot réussit à se montrer plus à son aise en début de saison, il faudra pourtant attendra ce Grand Prix du Canada (2 Juin 1991) pour voir les deux monoplaces inscrire les points de la 4e et 5e place (De Cesaris devant Gachot).

Bons baisers du Mans

Ce mois de juin se terminera aussi bien qu'il avait débuté (premiers points en Grand Prix) puisque les 22 et 23 juin 1991 se déroule la 59e édition des 24 Heures du Mans, que le pilote belge remportera au volant de la surprenante Mazda 787B à moteur rotatif (faisant équipe avec Volker Weidler et Johnny Herbert).

L'épopée fantastique est alors lancée, Gachot signe de belles performances en inscrivant des points au Grand Prix de Grande-Bretagne et d'Allemagne, il termine 9e au Grand Prix de Hongrie en réalisant le meilleur tour en course.

© Mazda / Johnny Herbert, Bertrand Gachot, Volker Weidler, Mazda 787B, 1991

Nous sommes en août 1991 et le Grand Prix de Belgique s'y tiendra le 25 du mois, Gachot est déjà excité à l'idée de bien faire pour sa course à domicile. Et sa déclaration de l'époque ne faisait que confirmer son état d'esprit et son envie de bien faire pour la manche à Spa-Francorchamps.

"Je me réjouis pour le GP de Belgique à venir où je suis certain de réaliser un résultat probant au vu des qualités de ma Jordan 191, qui ne cesse de progresser comme ici au GP de Hongrie que nous avons mis à profit avec l’ingénieur Gary Anderson pour peaufiner la tenue de route. A Spa, je dois pouvoir rentrer dans les points avec cette voiture grâce à ma parfaite connaissance du circuit."

Le pilote avait déjà décroché le second temps du warm-up en Hongrie (la séance du dimanche matin qui préparait les conditions de roulage pour la course), se faisant seulement devancer par Prost, mais avec une voiture de réserve (appelée le mulet à l'époque) et surtout avec les réservoirs vides. Cet élan de performances, avait décuplé la confiance du pilote, qui avait parié avec son ingénieur de course, qu'il signerait la pole position à Spa-Francorchamps pour le Grand Prix de Belgique.

The London Cab'

Mais dans la quinzaine qui sépare les Grand Prix de Hongrie et de Belgique, Gachot va être rattrapé par la justice britannique pour une une altercation avec un chauffeur de taxi londonien qu'il eut à la fin de l'année 1990. Reconnu coupable de l'agression il accusera le coup d'une lourde condamnation de vingt-quatre mois de prison ferme, ramenée en appel à seulement deux.

C'est ici que sa carrière s'est brisée, et qu'une autre est sur le point d'éclore, celle d'un jeune Allemand prometteur, son nom : Michael Schumacher. Eddie Jordan dans l'impasse, doit trouver un second pilote pour le Grand Prix de Belgique, un manager du nom de Willy Weber met en avant les talents de son pilote, Michael Schumacher effectue ses débuts en F1. Pour l'anecdote, Weber certifia à Jordan que son pilote connaissait bien le tracé de Spa-Francorchamps… l'Allemand ne l'avait, en fait, jamais pratiqué !

Bertrand Gachot, sorti de prison, espère bien récupérer son volant pour la fin de saison, mais c'est sans compter que Schumacher a déjà marqué les esprits au sein de l'écurie, avant que Jordan ne lui fasse une proposition de contrat de pilote payant (offre refusée par Weber alors que Schumacher se tourna vers l'équipe Benetton), Jordan a alors remplacé Schumacher par un pilote italien du nom de Alessandro Zanardi.

Comeback échaudé !

Gachot disputera l'ultime course de ce championnat 1991 chez Larousse F1 en Australie avant de signer pour la saison complète dans la même écurie pour la saison 1992. Hormis une sixième place au Grand Prix de Monaco, sa saison est plus émaillée par ses accrochages que sa présence dans les points.

Une année loin des circuits en 1993 et un retour en 1994 avec le projet Pacific Grand Prix dans lequel il est actionnaire, au cours des deux saisons jamais il ne réussit à quitter l'arrière du peloton, et ne disputera que seize manches au cours des exercices 94 et 95.

Ainsi Bertrand Gachot illustre parfaitement le pilote de Formule 1 talentueux mais dépassé par les enjeux de la progression d'une carrière. Il aura donc compromis son avenir en F1 avec des frasques pourtant évitables : une altercation avec un chauffeur de taxi, un séjour en prison, la perte de son baquet, sa crédibilité écornée et les opportunités des tops teams écartées.

Les destins croisés

Nous avons pu constater récemment des pilotes ayant écorné l'ascencion de leur carrière pour des raisons personnelles, de performances ou d'intégration dans l'univers des écuries, tel Kobayashi, Sutil, Di Resta, Kubica ou encore des pilotes pourtant prometteurs comme Grosjean ou Hülkenberg.

Le casque désormais rangé en guise de décoration dans une vitrine, comment peut-on encore exister dans le monde de la F1 après une entreprise inachevée derrière un volant ? Bertrand Gachot semble avoir réalisé ceci, aujourd'hui il est à la tête d'une entreprise de boissons énergisantes HYPE depuis 2000, une marque distribuée dans 40 régions du globe.

Cette marque ne vous est pas inconnue puisqu'elle faisait sporadiquement des apparitions sur les monoplaces des écuries Arrows, Benetton ou encore de couleur fluo sur les flancs de la Williams championne en 1997. Alors Gachot est-il atteint d'une Mateschitz aiguë ? Est-il prêt à devenir le prochain magnat Red Bullien de la discipline ? Loin de tirer des plans sur la comète, Gachot est toujours adepte de la discipline qui l'a vu grandir et garde un œil sur ses congénères.

Monsieur Gachot, que le meilleur vous arrive pour la suite, et dans les "destins croisés" de la planète F1, nous n'oublierons pas de vous citer en évoquant la glorieuse carrière d'un certain Michael Schumacher... Il n'y a pas de destin en course automobile, ainsi le sort des pilotes n'est lié qu'aux choix et trajectoires empruntées, physiques comme contractuelles...

Bertrand Gachot - Monaco 1991

© LAT Images - Bertrand Gachot - Monaco 1991