Le Grand Prix d'Italie 1955, disputé sur l'ovale de Monza, consacra Juan Manuel Fangio pour la troisième fois, la première fois pour le compte de Mercedes d'une saison enfin entièrement réalisée à bord des Flèches d'Argent.

La 6ème édition du Grand Prix d'Italie, se tenait le 11 septembre 1955, et le circuit allait montrer un tout autre virage. En effet, après d'importants travaux, l'anneau de vitesse et la Parabolica furent ajouté au tracé italien. Un particularité qui ne se produire que quatre fois dans toute l'histoire du circuit de Monza (1955, 1956, 1960 et 1961).

Fangio couronné pour la troisième fois

Après un énorme travail, l’Autodrome de Monza reconstruit était prêt bien avant la date prévue du Grand Prix. La plupart des grandes équipes ont effectué des essais avant le début officiel des qualifications. Au bout de la longue ligne droite large, passant devant les stands, un virage en béton fortement incliné a été construit. Son rayon approchait les 320 mètres, passant derrière l’ancien tracé, puis parallèle aux deux lignes droites existantes. Il rejoignait ensuite la ligne droite principale par un autre virage incliné similaire.

Les célèbres virages pavés de Vedano ne furent pas utilisés. Un nouveau virage reliait les deux lignes droites de l’ancien circuit avant la courbe sud. En divisant la ligne droite principale en deux parties, grâce à de petits pylônes blancs en caoutchouc, on obtenait un circuit complet de 10 kilomètres. Le départ était situé à l’extérieur de la ligne droite, devant les tribunes. Le tracé passait par le circuit routier, les virages de Lesmo, puis la ligne droite arrière, et le nouveau virage sud pour rejoindre la ligne droite des stands.

Les voitures passaient alors devant les tribunes à l’intérieur des pylônes, montaient sur le virage nord pour compléter un tour du circuit de vitesse, et revenaient à la ligne droite des tribunes. En retirant les pylônes, on pouvait n’utiliser que l’ovale de vitesse avec ses deux lignes droites et deux virages relevés. Ce tracé permettait de voir les voitures à trois reprises par tour, mais obligeait à effectuer les arrêts aux stands après un demi-tour seulement.

De nombreuses améliorations furent ajoutées en neuf mois : un tunnel piéton sous la ligne droite, des stands supplémentaires, des routes internes donnant accès aux virages, et une surface pavée dans le paddock remplaçant le gravier sableux. L’Italie avait fourni un effort colossal, transformant un Monza déjà excellent en un circuit méconnaissable.

Les qualifications, l'heure de vérité du nouveau Monza

Sans Grand Prix depuis la course britannique d’Aintree, toutes les grandes équipes étaient présentes. Les essais privés montraient des tours autour de 2'50, à plus de 211 km/h, tandis que l’ovale de 4,25 km se parcourait en près d’une minute, soit plus de 250 km/h. Par précaution, la séance du jeudi se limita à l’ovale afin que les pilotes s’habituent aux virages relevés à grande vitesse.

L’équipe Mercedes-Benz était au complet, mais l’attention se portait sur les Lancia désormais engagées sous bannière Ferrari. Trois voitures étaient confiées à Farina, Castellotti et Villoresi, plus une de réserve. Elles restaient identiques aux modèles du début de saison, entretenues par les mécaniciens Lancia vêtus de combinaisons Ferrari, avec l’ingénieur Jano présent.

En plus des Lancia, Ferrari engageait trois Tipo 555 Super Squalo, dotées de nombreuses évolutions, dont une boîte à cinq rapports, avec Hawthorn, Trintignant et Maglioli au volant. Mercedes-Benz engageait quatre voitures pour Fangio, Moss, Kling et Taruffi, avec des châssis de différentes longueurs, profilés ou non. Maserati avait inscrit sept voitures, mais seule une était présente le premier jour. Vanwall représentait l’Angleterre avec Schell et Wharton, accompagnés d’une voiture de réserve.

Gordini alignait deux modèles 1954 avec moteurs 1955 et freins à disque, pour Silva Ramos et Pollet, plus une nouvelle huit-cylindres pour Manzon. Cette dernière, très fluide, disposait d’un carénage de nez, de quatre carburateurs Weber double corps et d’un échappement multi-tuyaux.

Sous un temps sec et chaud, les vitesses élevées inquiétaient les manufacturiers de pneus. Farina perdit la bande de roulement arrière de sa Lancia, provoquant un tête-à-queue sur le banking et endommageant l’arrière. Trintignant eut un problème similaire. Mercedes constata que les châssis longs de 1954 offraient la meilleure tenue sur les virages relevés. Stuttgart envoya donc en urgence un exemplaire supplémentaire.

Les Ferrari Tipo 555 se comportaient bien sur le béton bosselé, mais manquaient de puissance. Les Vanwall et Gordini offraient une conduite rude. Beaucoup relevaient la garde au sol pour éviter que moteurs ou ponts ne touchent sur les bosses. Le vendredi, le circuit complet de 10 km était utilisé pour établir la grille. Fangio imposa son rythme, suivi de Castellotti et Farina en grande forme. Moss attendait encore son châssis long. Maserati présenta une belle monoplace profilée, tandis que Collins et Menditeguy faisaient leurs débuts en équipe officielle. Les Maserati affichaient de nouvelles améliorations : freins avant élargis, carburateurs inclinés, boîte à cinq rapports et pompes à carburant plus grandes.

Mercedes expérimenta un capot avant rallongé sur un châssis moyen pour améliorer la tenue de route. Hawthorn testa une Lancia de réserve, mais son gabarit gênait. Lucas remplaça Manzon sur la nouvelle Gordini. À la fin de la journée, les six plus rapides étaient Fangio, Kling, Castellotti, Farina, Behra et Moss, avec plus de 4,5 secondes d’écart, loin des écarts serrés des anciennes éditions.

La dernière séance, prévue samedi matin, fut reportée à l’après-midi à cause de la pluie. Mercedes profita du déluge pour tester. L’après-midi, le soleil revint et l’activité fut intense. Fangio se contenta de son temps de la veille, tandis que Moss essayait enfin son nouveau châssis. Maserati renonça à utiliser la monoplace profilée. Vanwall passa en jantes de 17 pouces pour limiter les risques de détériorer les pneus.

Pirelli espérait que les pneus des Maserati tiendraient, Continental était confiant pour Mercedes, mais Englebert s’inquiétait pour les Ferrari et surtout les rapides Lancia. Moss réalisa le meilleur temps de la séance, juste derrière Fangio au classement général. Kling confirma sa troisième place, suivi des deux Lancia.

Le dimanche, sous un ciel ensoleillé mais tempéré, les risques de dégradation des pneus semblaient moindres. Pourtant, les Lancia furent retirées par précaution, Castellotti étant transféré dans une Ferrari Tipo 555. Farina et Villoresi devinrent spectateurs. Le départ prévu à 15h00 fut retardé à 15h30 par une cérémonie officielle, le président d’Italie inaugurant l’Autodrome au volant d’un élégant cabriolet Maserati 2 litres. Pendant ce temps, Fangio se reposait à l’ombre, protégé par Neubauer, son directeur d’équipe, tel un capitaine veillant sur son poulain.

Italian Grand Prix in Monza, 11 September 1955. Photo taken at the start of the race. Front row, from left to right: Mercedes-Benz W 196 R Formula 1 racing cars of Juan Manuel Fangio (streamlined bodywork, starting number 18, the eventual winner of the race), Stirling Moss (streamlined bodywork, starting number 16) and Karl Kling (racing car with free-standing wheels, starting number 20). In the background: W 196 R with free-standing wheels of Piero Taruffi (starting number 14, eventually placing 2nd).

© Photo index number in the Mercedes-Benz Classic Archive: R7963

La course la plus rapide de la F1

Les vingt voitures s’alignaient en formation trois-deux-trois, avec Fangio, Moss et Kling en première ligne. En deuxième ligne, Castellotti prenait place dans une Ferrari, malgré l’absence d’essais dans cette voiture, aux côtés des Maserati de Behra et Mieres. L’emplacement de Villoresi restait vide. Schell représentait le principal espoir britannique, sa Vanwall s’étant glissée parmi les monoplaces rouges. Côté Mercedes, Fangio disposait du nouveau châssis long profilé, Moss d’un modèle similaire mais avec carrosserie de l’an passé, Kling d’un châssis long non profilé, et Taruffi d’un châssis moyen. Behra pilotait la Maserati profilée, tandis que les Ferrari étaient quasiment identiques entre elles.

Au départ, Musso s’élança avec le peloton mais sa voiture hésita, et il fut aussitôt dépassé. Avec le nouveau tracé, le départ menait vers la Grande Courbe et, à mi-tour, le peloton passait devant les tribunes côté stands avant d’attaquer le banking nord. Moss menait alors confortablement devant Fangio, Taruffi, Kling et Castellotti. Mais, chez Mercedes, les consignes sont claires, et à la fin du premier tour, Fangio avait repris sa position de leader, suivi de ses coéquipiers et de Castellotti. Déjà, le reste du plateau accusait du retard.

Après seulement deux tours, les quatre Mercedes occupaient solidement les premières places en file indienne. Castellotti, porté par les acclamations du public italien, s’accrochait avec ténacité. Plus loin, Schell se battait avec deux Ferrari, deux Gordini et une Maserati dans une lutte à six voitures pour la douzième place, offrant un spectacle palpitant.

Après quatre tours, Castellotti commença à céder du terrain, restant toutefois largement devant le reste du peloton. Schell, lui, menait toujours son duel face à Maglioli, Trintignant, Silva Ramos, Pollet et Menditeguy. Pendant ce temps, Mieres et Hawthorn s’affrontaient pour la sixième position, mais Musso revenait fort, dépassant successivement Gould, Behra puis Collins.

Fangio, tournant en 2'53 contre 2'46 aux essais, creusait l’écart, Castellotti restant seul pour défendre les couleurs italiennes. Musso, en grande forme, prenait la sixième place au septième tour. Maglioli se détachait du groupe de chasse, tandis que Schell abandonnait.

En solitaire, Maglioli rattrapait Gould et le passait, mais l’Anglais ripostait et reprenait sa position, poussant l’Italien à la faute. Collins et Trintignant perdaient du temps après des arrêts aux stands, les reléguant loin au classement. Devant, les Mercedes poursuivaient leur défilé, Fangio en tête devant Moss, Kling et Taruffi, séparés de seulement quatre secondes.

Au 17e tour, Musso recollait à Castellotti et les deux hommes engageaient un duel serré. Behra, avec sa Maserati profilée, peinait à suivre le rythme, restant derrière la Maserati classique de Mieres.

Tout semblait promis à une démonstration allemande, comme à Aintree, mais au 19e tour, Moss rentrait aux stands avec un pare-brise brisé, incapable de supporter 270 km/h sans protection. En 1'40, les mécaniciens Mercedes remplaçaient le pare-brise complet, grâce à une pièce déjà prête. Moss repartait huitième et attaquait aussitôt, signant un nouveau record du tour et rattrapant rapidement Gould. Castellotti et Musso continuaient leur ballet de dépassements mutuels.

À mi-course, au 25e tour, Musso avait pris l’avantage sur Castellotti, tandis que Moss revenait sur Behra. Collins et Silva Ramos abandonnaient, Gould changeait un pneu arrière. Les trois premiers restaient Fangio, Kling et Taruffi. Pollet abandonnait ensuite, et Moss stoppait définitivement au 28e tour, victime d’une casse moteur.

Au 32e tour, nouveau coup dur pour Mercedes : Kling se retirait sur casse de boîte de vitesses. Fangio et Taruffi restaient seuls pour sauver la victoire allemande. Musso abandonnait à son tour, laissant seulement Castellotti et Behra dans le tour du leader. Gould quittait aussi la course, carter percé après un contact répété sur les bankings.

Behra prenait un tour à Menditeguy, qui s’accrochait dans son sillage, imité par Hawthorn derrière Taruffi. La Ferrari de ce dernier tenait mieux sur les bankings, permettant même à Hawthorn de repasser à certains moments. Mais la boîte de vitesses de la Ferrari céda, obligeant Hawthorn à renoncer au 39e tour.

Le moteur de Mieres donnait des signes de faiblesse, permettant à Menditeguy de le dépasser. À dix tours de la fin, il ne restait plus que neuf voitures en piste : Fangio, Taruffi, Castellotti et Behra dans le même tour, suivis de Menditeguy, Maglioli, Mieres, Trintignant et Fitch. Castellotti, malgré un régime moteur poussé à 8 200 tr/min en début de course, voyait sa Ferrari toujours vaillante.

Le tracé créait parfois des illusions : sur la ligne droite des tribunes, les voitures venant du banking sud passaient à pleine vitesse à l’extérieur, dépassant même Fangio et Taruffi qui se trouvaient sur la ligne intérieure, encore en accélération.

Fangio, meurtri par les secousses et la vitesse moyenne supérieure à 200 km/h, franchissait le drapeau à damier et confirmait son titre de champion du monde. Taruffi terminait second après une course solide, et Castellotti, véritable espoir italien, prenait la troisième place. Behra terminait quatrième, mais son moteur rendait l’âme dans un nuage d’huile juste après la ligne.

Cette course marquait la dernière apparition des Mercedes-Benz W196 en Grand Prix, à moins d’un changement d’avis de Daimler-Benz. Depuis leur début en juillet 1954, elles avaient remporté dix victoires, échoué seulement trois fois, et connu un seul abandon complet, la seule course que Fangio n’avait pas terminée comme pilote de l’équipe.

Les Lancia, bien qu’absentes en course, restaient les rivales les plus sérieuses pour Mercedes d’après les essais. La nouvelle Gordini manquait encore de mise au point, tandis que la Vanwall montrait son potentiel avec Schell. L’immense affluence à Monza et l’absence d’incidents confirmaient que le Grand Prix restait le sport mécanique le plus populaire et le plus sûr, même à très haute vitesse.

Résultat de la course :

1 - Juan Manuel Fangio / Mercedes (50 tours en 2h25'04"4 - 206,792 km/h de moyenne)
2 - Piero Taruffi / Mercedes (+00"7)
3 - Eugenio Castellotti / Ferrari (+45"2)
4 - Jean Behra / Maserati (+3'47"5)
5 - Carlos Menditeguy / Maserati (+1 tour)
6 - Umberto Maglioli / Ferrari (+1 tour)
7 - Roberto Mieres / Maserati (+2 tours)
8 - Maurice Trintignant / Ferrari (+3 tours)
9 - John Fitch / Maserati (+4 tours)
11 abandons