La F1, comme tout sport international, est forcément confrontée aux différents régimes plus ou moins démocratiques des pays où elle choisit de se rendre. Et avec eux viennent les conflits internes et les violations des droits fondamentaux.
La F1 a, depuis toujours, regardé avec bien trop d'indifférence, le respect des droits de l'Homme dans les pays qu'elle visitait. Mais après les événements de 2011, et avec l'arrivée du GP de Baku, elle s'était engagée publiquement sur le respect des droits de l'Homme. En effet, en 2011, les différentes manifestations à Bahreïn avaient eu pour conséquence la suppression de l'édition, qui pourtant devait ouvrir la saison.
Par pression de l'opinion publique et suite à une saisie de la justice britannique, la F1 avait alors réagit. Et c'est par une déclaration d'engagement au respect des droits de l'Homme présente sur le site officiel de la discipline, la F1 a répondu à ces événements. Cependant, cette déclaration était intervenue peu ou prou en même temps que l'annonce du GP en Azerbaïdjan, pays peu regardant en matière de respect des droits de l'Homme. De quoi mettre en doute la volonté de la FOM, à l'époque, d'être plus attentive à ces questions.
Mais la situation à Bahreïn ne s'est pas vraiment améliorée depuis l'épisode 2011. Depuis, tous les ans, les opposants au régime manifestent contre la venue du Grand Prix qui, selon eux, valide les exactions et violations des droits de l'Homme commises par l’État de Bahreïn. Et c'est en 2017 que prend forme cette nouvelle confrontation entre la F1 et les organisations de défenses des droits de l'Homme.
L'affaire Najah Ahmed Yousif
En avril 2017, Najah Ahmed Yousif critique, dans une séries de posts sur Facebook, le régime de Bahreïn ainsi que la tenue du Grand Prix de F1. Une semaine après le GP de Bahreïn 2017, Najah Ahmed Yousif a été arrêtée, interrogée, menacée de violence contre son fils, violentée et agressée sexuellement par les officiers en charge. Une torture physique et mentale qui poussa la bahreïnie à avouer tous les crimes dont on l'accusait.
Emprisonnée depuis, c'est en juin 2018 qu'elle a été condamnée par la Cour Criminelle à 3 années d'emprisonnements. Dans les charges énoncées par le procureur, se trouvaient notamment la participation à des activités sur les réseaux sociaux pour encourager le renversement du système politique.
En mars 2018, l'organisation Bahrein Institute for Rights and Democracy (BIRD) a contactée la F1 au sujet de l'affaire Najah Ahmed Yousif et de son emprisonnement arbitraire. Pour réponse, le groupe F1 s'est contentée d'indiquer que la jeune femme devait se tourner vers les institutions de Bahreïn afin qu'elles enquêtent de manière indépendante.
La F1 satisfaite de la réponse de Bahreïn
Une réponse qui n'a évidemment pas contenté BIRD et les autres organisations internationales. Ainsi le 6 février 2019, 17 ONG, dont BIRD et Human Rights Watch, ont rédigé une lettre à l'attention de la F1. Par ce courrier, elles exhortaient la F1 à respecter son engagement en faveur des droits de l'Homme. La réponse est arrivée le 4 mars. Dans celle-ci, Sacha Woodward-Hill, l'avocat général de la F1, explique la F1 avait exprimé des inquiétudes auprès des autorités bahreïnies qui ont déclaré que les accusations et la condamnation n'avaient « absolument aucun lien avec la course de F1 ». Le gouvernement bahreïni a nié que l'arrestation de Yousif était liée au Grand Prix. « Toute affirmation selon laquelle elle aurait été condamnée pour une infraction connexe est catégoriquement incorrecte », a déclaré un porte-parole du gouvernement dans un communiqué. « Elle a été inculpée et condamnée par un tribunal pour des infractions terroristes ».
Sacha Woodward Hill a déclaré que la F1 était « assurée que la détention de Mme Yousif, ses accusations, son procès et sa condamnation ultérieure n'avaient rien à voir avec la manifestation pacifique autour du Grand Prix de Bahreïn ».
« En outre, nous avons demandé l'assurance que des mesures punitives telles que l'arrestation, la poursuite, la détention et des inculpations à l'encontre de toute personne, y compris Mme Yousif, pour des critiques singulièrement pacifiques sur le Grand Prix n'étaient et ne seraient jamais exercées par les autorités bahreïnies.
En réponse, nous avons été assurés que quiconque se contentant de critiquer ou continuant de critiquer la Formule 1 à Bahreïn est libre de le faire, peut dire ce qu'il veut et qu'il serait laissé à lui-même » explique Sacha Woodward Hill dans le courrier aux ONG.
La F1 naïve ou volontairement aveugle
Une réponse qui, une nouvelle fois ne convainc pas les 17 ONG signataires. « Il est absurde de croire le gouvernement bahreïni quand il assure qu'aucune mesure punitive ne sera infligée aux militants qui s'opposent pacifiquement au Grand Prix, compte tenu de la réputation de Bahreïn en matière de mesures répressives visant à mettre un terme aux manifestations contre les courses dans le pays », a déclaré Aya Majzoub, chargée de recherches sur le Moyen-Orient à Human Rights Watch.
« Au moins un manifestant a tué au cours du Grand Prix et, dans le passé, les forces de sécurité ont effectué des perquisitions à domicile dans les environs du circuit et ont arrêté arbitrairement des personnalités de l'opposition.
La réponse de la Formule 1 indique qu’elle est disposée à détourner le regard tandis que Bahreïn commet de graves violations des droits de l’homme. Elle est complice de la tentative du Bahreïn d’utiliser le Grand Prix pour blanchir ces violations » poursuit-elle.
« Alors que le Grand Prix de Bahreïn aura lieu ce mois-ci, la Formule 1 envoie un message consternant: son engagement présumé en faveur des droits de l’Homme ne signifie rien. La décision de la Formule 1 de s’appuyer continuellement sur de fausses assurances du gouvernement bahreïni, notamment sur le fait que l’emprisonnement de Najah n’a rien à voir avec ses critiques du Grand Prix, est extrêmement décevante.
La réponse de la F1 équivaut à de la complicité de la dissimulation effectuée par Bahreïn. Sa réponse n'est pas représentative d'une organisation prétendument attachée aux droits de l'Homme internationaux, y compris à la liberté d'expression. Au lieu de cela, la Formule 1 aide Bahreïn à prévenir que personne ne doit oser critiquer la course. Si tel est le cas, ils recevront le destin de Najah et la F1 soutiendra les déclarations de Bahreïn et restera silencieuse. Cela doit changer » explique Sayed Ahmed Alwadaei, directeur du plaidoyer chez BIRD.
Il est encore temps pour la F1 de se réveiller
Le 13 mars prochain, une rencontre aura lieu entre la F1 et Lord Scriven, afin de discuter du cas Najah Ahmed Yousif. S'exprimant au quotidien d'informations anglais The Guardian, Lord Scriven ne mâche pas ses mots. Il est temps que la F1 prenne ses responsabilités. Les mots ne sont pas suffisants, les actes ont plus de valeur. Et surtout, agir en faveur des droits de l'Homme devrait une priorité pour la F1.
« Il est clair que les cadres de la F1 ne prennent pas leurs responsabilités au sérieux en matière de violations des droits de l’Homme directement imputables au Grand Prix de Bahreïn. Le cas de Najah en est un exemple. La F1 est heureuse d’être un verni pour les autorités bahreïnies qui utilisent le Grand Prix pour se donner une image qui cache les violations systématiques des droits de l’Homme commises contre ceux qui souhaitent se lever et jouir d’une véritable liberté d’expression.
Si les dirigeants de la F1 ne s’attaquent pas aux violations des droits de l’Homme directement liées à leurs événements sportifs, alors il est peut-être temps de porter l'affaire directement devant les sponsors, les équipes et les pilotes » dit Lord Scriven à The Guardian.
En tant que sport international, la F1 se doit d'être intransigeante et droite dans ses bottes au regard du respect des droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales. Les enjeux économiques et les rayonnements politiques et publics sont un moyen de pression sur les différents régimes peu ou proue sensibles au respect de ces droits.
La déclaration d'engagement avait été prise par l'ancien patron de la F1. Liberty Media, qui se veut moderne et plus en phase avec le monde d'aujourd'hui, ne peut pas et ne doit pas fermer les yeux sur un point aussi important. La F1 ne peut mettre en avant l'image de la femme dans son sport pour ensuite détourner le regard sur les exactions et violations aux droits de l'Homme commis indirectement par son sport. Il en va de son avenir, et de son image.