Le Safety Car fait partie intégrante de la Formule 1 depuis plus de trois décennies désormais. Instrument de sécurité avant tout, il a aussi servi à relancer l'intérêt de certaines courses, voire bouleverser leur physionomie. Voici dix Grands Prix qui sont rentrés dans l'histoire grâce à cette fameuse voiture de sécurité.

Fuji 2007 : plus longue neutralisation

Si les neutralisations prolongées sont plus communes aujourd'hui par temps de pluie pour diverses raisons (notamment les pneus pluie Pirelli peu efficaces et la visibilité trop réduite), elles ne sont pas un phénomène exclusif à ces dernières années. Le Grand Prix de France 1999 par exemple avait établi un record de onze tours consécutifs bouclés sous régime du Safety Car. Une neutralisation excessivement étendue pour certains patrons d'écurie à l'époque, mais qui avait vu plusieurs pilotes partir à la faute en dépit du rythme considérablement réduit.

D'autres neutralisations atteignirent la dizaine de boucles comme à Monza en 2000 ou Melbourne en 2001, deux épreuves tristement célèbres pour la mort de deux commissaires de piste suite à des accrochages. Le Grand Prix d'Autriche 2002 compte officiellement douze tours d'affilée sous Safety Car mais il s'agit en vérité de deux neutralisations séparées, l'accident de Nick Heidfeld et Takuma Sato étant intervenu juste après une relance et la voiture de sécurité est revenue avant même la fin du tour.

Mais ce sont bien les conditions climatiques qui ont contribué à établir un nouveau record lors du Grand Prix du Japon 2007, pour le retour de Fuji au calendrier. Preuve que la F1 a le sens de l'humour : la première course en ces lieux trente ans plus tôt se démarqua elle aussi par sa météo épouvantable, au point de frôler l'annulation sinon le report à cause de pilotes soulignant le caractère trop dangereux de ces conditions. Et pas de Safety Car à l'époque pour rappel.

En 2007, la Mercedes de Bernd Maylander mena le groupe de pilotes pendant les dix-neuf premiers tours, soit près de 30% de la course ! Ajoutez à cela les sept tours supplémentaires après l'accident de Fernando Alonso – et l'accrochage de Mark Webber et Sébastian Vettel durant la neutralisation – et on atteint le nombre de vingt-six tours sous drapeau jaune, près de 40% ! Là encore, la visibilité fut le problème numéro un souligné par les pilotes, même si la course fut lancée sans la moindre amélioration des conditions...

D'autres courses se rapprochèrent de cet exploit : la Corée du Sud 2010 compte 17 tours consécutifs neutralisés et vingt-cinq en tout. Mais un autre exemple cité plus bas se démarqua de façon plus spectaculaire.

Singapour 2008 : accident volontaire

On disait précédemment que la Safety Car servit assez vite de levier stratégique afin de retourner une situation à son avantage. La modification apportée en 2007 ne changea rien à cette philosophie, que du contraire. Avec l'attente de l'ouverture de la pitlane, tout pilote censé s'arrêter aux stands durant la neutralisation allait se retrouver derrière toutes les monoplaces qui avaient effectué cette opération avant l'incident.

Cet avantage un tantinet injuste fut bien exposé au cours du Grand Prix d'Allemagne 2008. Presque tous les pilotes furent contraints à s'arrêter après l'accident de Timo Glock, la neutralisation prenait cours dans la fenêtre de leur second ravitaillement. Parti sur un stratégie d'un seul arrêt et ayant déjà réglé sa besogne au stand Renault, Nelsinho Piquet fut ainsi propulsé du ventre mou du peloton à la troisième place, qui devint la première après les arrêts décalés de Lewis Hamilton et Nick Heidfeld, puis la deuxième quand Hamilton récupéra son bien.

Le Brésilien, jusqu'alors fort décevant, sécurisa son premier podium en grande partie grâce à ce revirement stratégique. Cette situation inspira grandement Flavio Briatore et Pat Symonds, qui fomentèrent le fameux sale coup de Singapour. Fernando Alonso allait effectuer un arrêt anticipé, puis damner le pion à tous ses rivaux forcés de ravitailler durant une neutralisation provoquée par son équipier. Et comme celui-ci avait déjà commis moult erreurs durant sa saison inaugurale, on n'y verrait que du feu. Pensait-on chez Renault...

La course fut la dernière à exposer les limites de la règle de 2007, et le retour à la normale l'année suivante s'avéra un soulagement pour tout le monde. Année où le stratagème de Renault fut exposé au grand jour une fois Piquet renvoyé par son équipe avant même la fin de saison. Au grand dam de Felipe Massa qui considère que sa course et le titre mondial lui échappèrent à cause du fameux crash intentionnel, au point de mener une croisade publique et judiciaire en 2023 pour faire annuler ce Grand Prix.

Montréal 2011 : plus grand nombre de neutralisations et de tours sous Safety Car

Depuis la fin des années 90, Montréal s'était taillé une réputation de circuit propice aux neutralisations. Son tracé non permanent avec une marge d'erreur limitée rendait la probabilité d'un drapeau jaune prolongé plus importante que sur les autodromes modernes signés par Hermann Tilke. Rien d'étonnant que l'histoire du Safety Car se soit écrite plus d'une fois sur l'Île Notre-Dame, comme observé en 1999 et 2007.

2011 fut l'apogée de cette période fertile en rebondissements pour un Grand Prix du Canada. Et la pluie joua un rôle prépondérant cette fois-ci. Le Safety Car ouvrit les hostilités à cause d'une averse trop importante mais eut la politesse de ne pas s'éterniser au delà de quatre tours. Problème : les deux McLaren s'accrochèrent faute de visibilité et prirent la peine d'ensemencer la ligne droite de débris avant que Lewis Hamilton ne s'immobilise un peu plus loin. Deuxième neutralisation, de cinq tours ici.

La troisième fut indispensable lorsque la pluie devint torrentielle, d'où un drapeau rouge cinq boucles plus tard. Ce qui s'avéra moins pertinent, c'était de prolonger cette interruption pendant deux bonnes heures, puis de relancer la course sous Safety Car durant dix tours supplémentaires ! A ce moment démarra un running-gag encore récurrent de nos jours, à savoir chausser immédiatement les pneus intermédiaires à la relance, rendant les gommes pluie inutiles dans ce contexte...

Sauf que les pilotes eurent à peine le temps de faire le switch avant la cinquième occurrence de la voiture de sécurité après trente-sept tours, soit à peine après la mi-course ! La sortie était une réponse à l'immobilisation de Fernando Alonso sur un vibreur, ironiquement au même virage où il endommagea sa suspension en 2005. Jenson Button l'avait accroché et une crevaison le renvoya en dernière position, annulant toute chance de bien figurer... en théorie.

La course prit enfin une cadence plus régulière avec sa plus longue période sous drapeau vert : seize tours. C'est un nouvel accrochage, entre Kamui Kobayashi et Nick Heidfeld, qui provoqua la dernière neutralisation, l'Allemand ayant éclaté son aileron avant un peu partout sur la piste. Quatre tours à faible allure avant le rush final dantesque qui vit Button conquérir la victoire sur le fil contre toute attente.

Ce Grand Prix établit ainsi une multitude de records : course la plus longue de l'histoire (quatre heures), moyenne la plus faible (74,9 km/h, depuis battu par Suzuka 2022) ; et dans le cas qui nous intéresse ici, le plus grand nombre de neutralisations avec six et le plus grand nombre de tours sous drapeau jaune avec trente-deux, soit près de 46% de la distance !

Silverstone 2015 : première application de la VSC (voiture de sécurité virtuelle)

Si à chaque accident sérieux mais sans gravité, il est juste de rappeler les progrès majeurs de la discipline en matière de sécurité, la Formule 1 ne sera jamais éternellement épargnée. C'est pourquoi il est important de ne pas se reposer sur ses acquis et combler les failles exposées lors de certains drames.

Suzuka 2014 avec la mort de Jules Bianchi en témoigne parfaitement. Cet accident accéléra notamment les recherches quant à la protection de la tête des pilotes, ce qui aboutit au fameux Halo. Un dispositif contesté au premier abord mais dont l'efficacité fut mise en lumière à Bahreïn en 2020. Désormais Romain Grosjean se félicite de l'existence du Halo chaque jour de sa (deuxième) vie.

L'autre héritage de la perte de Bianchi concerne la neutralisation même partielle de la course. La FIA n'a pas hésité – avec un certain manque de tact – à souligner la vitesse trop élevée de la Marussia dans un secteur marqué par les drapeaux jaunes. Un problème certes récurent qui ne datait pas de 2014, même si la présence de la grue fut un autre facteur aggravant. Encore que Suzuka 2022 semble indiquer que la direction de course ne considère toujours pas la chose ainsi...

Néanmoins, pour mieux encadrer les interventions intermédiaires ne nécessitant pas une neutralisation complète, la FIA introduisit la voiture de sécurité virtuelle pour la saison 2015. Les monoplaces en piste doivent adopter un rythme similaire à une neutralisation concrète et défini par le fameux delta, le tout avec les mêmes restrictions en terme de dépassements et d'usage du DRS. Mais le Safety Car reste au stand ; ainsi la procédure s'en trouve raccourcie puisqu'il n'y a plus besoin de rejoindre la voiture de sécurité, ni de laisser passer les monoplaces à un tour.

Son inauguration intervint à Silverstone après que Carlos Sainz ait immobilisé sa Toro Rosso dans l'échappatoire du dernier virage. La demi-neutralisation dura deux tours et s'effectua sans accroc. Elle fut tellement anecdotique que le résumé officiel de la saison n'en fit même pas mention dans son focus sur le Grand Prix de Grande Bretagne !

Néanmoins, la procédure fait désormais partie intégrante d'un week-end de course. Même si la neutralisation VSC est très (trop?) souvent suivie d'une neutralisation SC, ce qui tend à relativiser sa légitimité.