Face aux conditions climatiques difficiles, les autorités interrompent régulièrement les Grands Prix de nos jours. Certains saluent une plus grande prise de conscience des problèmes de sécurité, d'autres dénoncent la frilosité d'un sport qui perdrait de sa valeur en comparaison des heures glorieuses d'autrefois. Une époque où on laissait les pilotes braver les éléments, étaler leur bravoure et leur adresse. Mais était-ce toujours le cas ?

S'il est légitime de débattre sur l'interventionnisme des instances dirigeantes selon le cas de figure présenté, l'histoire rappelle qu'il existe un certain nombre de courses d'antan interrompues pour les mêmes raisons qu'aujourd'hui. Et le premier cas rencontré en Formule 1 remonte jusqu'à un demi-siècle plus tôt.

Premières prises de conscience

La fin des années 1960 et le début des années 1970 furent le théâtre de la première vraie prise de conscience en matière de sécurité. Sous l'impulsion d'un Jackie Stewart très concerné en la matière – il faillit perdre la vie à Spa en 1966 où son accident connut un enchaînement de circonstances évitables – on commença à ne plus accepter n'importe quoi sur les circuits.

Ainsi, le Grand Prix de Belgique 1969 fut annulé après que l'association des pilotes ait refusé de rouler à Spa. Pour rappel, l'ancien tracé de 14 kilomètres, dépourvu de tout rail de sécurité alors qu'il était tracé au milieu de la forêt des Ardennes. Le Nürburgring dans sa version Nordschleife connut le même sort en 1970, faute de pouvoir pleinement sécuriser ses vingt-sept kilomètres d'enfer vert. Il fut remplacé par Hockenheim cette année-là. Il n'était donc pas si surprenant qu'une interruption de course intervint dans cette période. En l'occurrence, lors du Grand Prix du Canada 1971.

Revanche à prendre

Ce n'était pas la première course pluvieuse de la saison. Zandvoort avait déjà proposé un spectacle humide qui vit Jacky Ickx faire honneur à sa réputation de « Rainmaster ». Le Belge remporta le Grand Prix des Pays-Bas sur Ferrari après avoir croisé le fer avec un autre téméraire dans ces conditions, Pedro Rodriguez (BRM).

Jackie Stewart lui, connut une des plus grosses humiliations de sa carrière : onzième, à cinq tours ! Mais le champion du Monde n'était guère à blâmer : là où Ickx et Rodriguez avaient bénéficié de Firestone taillés pour la circonstance, Stewart disposait de vieux Goodyear dépassés pour sa Tyrrell. Il ne pouvait donc s'exprimer à armes égales mais les esprits chagrins en profitèrent pour railler l'Ecossais malgré tout.

Le Grand Prix du Canada représentait une belle occasion pour Stewart de se racheter... si tenté qu'il en avait besoin. Son deuxième titre mondial fut assuré trois courses avant la fin de la saison, avec cinq succès et une deuxième place en huit Grands Prix. Et sa chevauchée infernale du Nurburgring 1968 – quatre minutes d'avance à l'arrivée – suffisait à elle seule pour témoigner de la bravoure de celui qui, après la mort de Jim Clark, faisait désormais office de référence dans son sport, sur la piste comme en dehors.

Signes avant-coureurs

Pourtant, le dimanche avait commencé avec un climat sec. Ce qui n'empêcha pas plusieurs accidents durant les courses de support, notamment un mortel pour un pilote de Formule Ford qui s'empala dans une ambulance venant en aide à un autre pilote échoué. Le temps que les procédures locales s'appliquent pour un tel incident, près de deux heures s'étaient écoulées.

Entre temps, le ciel s'était considérablement chargé et une grosse pluie finit par noyer le circuit de Mosport. Et les tours de reconnaissance offerts aux pilotes donnèrent une première indication du niveau d'adhérence, avec Graham Hill et Howden Ganley tapant le rail avant même le départ. Romain Grosjean à Interlagos en 2016 n'était pas le premier. Si Hill réussit à faire réparer sa Brabham à temps, Ganley mit pied à terre.

Et cette fois, ni Rodriguez ni Ickx n'étaient en mesure de voler la vedette à Stewart. Le premier avait hélas perdu la vie peu de temps après Zandvoort dans une course d'Endurance. Le second ne se qualifia que douzième avec des Firestone qui ne se sont jamais totalement adaptés à sa Ferrari 312B2. Celui qui fit concurrence à Stewart fut un jeune loup disputant sa première saison complète en parallèle du championnat de F2 : le Suédois Ronnie Peterson.

Pourtant qualifié sixième, celui-ci effectua un départ tonitruant sur sa March qui le plaça directement dans le sillage de Stewart, parti en pole. Il était pourtant extrêmement difficile de pleinement distinguer le circuit tant les projections d'eau étaient importantes, sans compter des bas-côtés aux antipodes de la propreté. Ainsi Jo Siffert, à l'origine en première ligne, boucla son premier tour dix-septième, la visière et la BRM recouvertes de boue... Il dut changer celle-ci quelques tours plus tard, de même que Mario Andretti (Ferrari).

Derrière Stewart et Peterson, Jean-Pierre Beltoise se rappela au bon souvenir de tous, lui dont le bras paralysé lui avait conféré d'excellents réflexes sur piste humide avec son membre valide. "Bebel" et sa Matra avaient un podium assuré avant qu'il ne sorte de la piste en voulant éviter Denny Hulme, qui lui concédait un tour et ne l'avait pas vu. Illustration frappante des disparités de rythme : Hulme se situait alors au neuvième rang et se fit rattraper au bout de seize tours.

Passer pour un "amateur" ?

En fait, les conditions d'adhérence et visibilité étaient tellement précaires que les pilotes produisaient des chronos 40 secondes plus lents que durant les essais ! Il fallait donc s'avérer extrêmement prudent, ce que Stewart savait faire. L'Ecossais passa sa course à sortir de la trajectoire idéale afin d'éviter les dépôts d'huile et de gomme. Jackie dira plus tard avoir eu l'impression de passer pour un « amateur » auprès du public.

Autre partisan des trajectoires baroques, Ronnie Peterson n'était cependant pas aussi mesuré que son aîné. Il se rendit coupable de quelques travers ici et là plus ou moins bien rattrapés. Ceux-ci ne le refroidirent guère, que du contraire, au point de déborder le nouveau champion au dix-huitième tour. Stewart reprit son bien une dizaine de boucles plus tard.

La belle lutte prit fin lorsque Peterson fut à son tour victime d'un retardataire perdu dans le brouillard. Ronnie plia son aileron avant lorsque celui-ci lui coupa la route. Ce qui ne l'empêcha pas d'assurer sa deuxième place avec la moustache de travers. Dix ans plus tard, un certain canadien s'inspira de ce numéro d'équilibriste...

Au fil de la course, la pluie finit par s'estomper. Malgré quelques sorties, les pilotes firent preuve d'une grande adresse puisque dix-huit participants sur vingt-cinq au départ restèrent actifs jusqu'à ce qu'un nouveau danger s'imposa à eux : le brouillard. Celui-ci enveloppa le circuit et fit passer la difficulté de « extrême » à « impossible ».

Les commissaires signalèrent à la direction de course qu'ils ne parvenaient plus à distinguer les postes voisins de leurs collègues, tandis que les hélicoptères furent contraints de rejoindre la terre ferme. On finit par interrompre l'épreuve en conséquence, après 64 tours sur 80 prévus.

Mélange des genres

Jackie Stewart remporta cette épreuve arrosée, offrant de ce fait un nouveau pied de nez à ses détracteurs lui reprochant une soi-disant couardise. Ronnie Peterson assura une place de vice-champion avec cette deuxième place, pour sa première saison complète, rappelons-le ! Et derrière eux se plaçait un débutant complet en F1, Mark Donohue.

L'Américain, qui commençait à se faire un nom outre-Atlantique (vainqueur des 24 Heures de Daytona 1969 et futur lauréat des 500 Miles d'Indianapolis), s'était offert un one-shot avec une McLaren alignée par Roger Penske. Cet intérim fut couronné de succès avec un podium sans avoir été rattrapé par Stewart. Ceci en dépit d'un travers devant les stands et d'un arrêt pour changement de...lunettes. Donohue ne portait pas de casque intégral et disputa ce Grand Prix « à l'ancienne ».

Un joli mélange des genres donc, entre prise de conscience sécuritaire plus contemporaine et relâche typique des premières décennies.