Le Strategy Group est un organe décisionnel de la Formule 1, mais il est très mal connu. Et pourtant, il est très souvent au cœur des dernières décisions controversées. Les points doublés ou le changement du système des qualifications sont le fruit d'un vote du Strategy Group avant d'atterrir sur la table de la F1 Commission. Le Strategy Group est opaque, voire totalement fermé. Son fonctionnement est une énigme qu'il nous faut percer, tant son rôle est important pour l'avenir de la F1.

Le Strategy Group a planté le dernier clou au cercueil de la FOTA (Formula One Teams Association), qui a été dissoute en février 2014. Créé par la FIA et la FOM en septembre 2013, le Strategy Group est composé de 6 équipes, un représentant de la FIA et un représentant de la FOM.

Les 6 équipes présentes au sein du Strategy Group sont Mercedes, Red Bull, McLaren, Ferrari et Williams, ainsi qu'une dernière équipe dite « flottante », qui varie en fonction du classement constructeur de la saison précédente (ce sera donc Force India pour la saison 2016).

Le Strategy Group statue aussi bien sur les questions relatives au règlement technique de la F1, que sur les questions du règlement sportif.

Ainsi, tout le monde se souvient du fameux vote sur le doublement des points lors de la dernière épreuve du championnat, qui a fait bondir les fans et les pilotes. Et plus récemment, la question du format des qualifications y a été longuement débattue, tentant de trouver une solution aux critiques engendrées par le système adopté pour la saison 2016.

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Du coté du règlement technique, les discussions quant au championnat 2017 sont toujours en cours, et les équipes peinent à se mettre d'accord.

La répartition des votes est telle que les équipes détiennent chacune un vote, soit 6 en tout, la FIA également 6 votes tout comme la FOM. D'un seul coup, la position de faiblesse des équipes apparaît. Et ce n'est rien à coté de l'absence totale des petites équipes dont la voie pourtant doit être entendu, notamment sur les questions de budget. Les équipes sont divisées et leur vote, même si unanime, n'est pas suffisant face à la FIA et la FOM.

L'unité des équipes est encore plus mise à mal si l'on ajoute le privilège détenu par Ferrari. L'équipe italienne dispose d'un droit de veto cependant soumis à conditions (un seul veto sur l'ensemble de l'année). Elle n'hésita pas à utiliser ce veto lors du vote concernant le prix maximum des Unités de Puissances et Boites de Vitesses proposé aux équipes clientes. Tout cela amoindrit l'utilité et l'efficace du Strategy Group.

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Les décisions votées par le Strategy Group sont ensuite soumise à la F1 Commission pour être adoptées. La F1 Commission est composée de 26 membres : Bernie Ecclestone, le Président de la FIA Jean Todt, 8 promoteurs, Pirelli, 2 sponsors, un fournisseur de moteur et les équipes. Pour être adoptée par la F1 Commission, une mesure doit acceptée par 18 membres, ou l'unanimité des équipes lorsque le point concerne un changement de règlement pour la saison. Les votes du Strategy Group ont donc leur importance, car ils alimentent l'ordre du jour de la F1 Commission.

Dès sa création, le Strategy Group a fait grincer des dents du coté des équipes. De Red Bull à Sauber en passant par Force India, les équipes ont vite compris que ce nouvel organe n'avait rien d'égalitaire et que la voix des acteurs de la F1 allait être largement assourdie par les exigences de la FOM et de la FIA.

En septembre 2015, Force India et Sauber portent plainte auprès de la Commission Européenne, plus précisément auprès de la Commissaire Européenne de la concurrence, Madame Margrethe Vestager.

La Commission Européenne est un organe institutionnel de l'Union Européenne, composée de 28 Commissaires (un commissaire pour chaque Etat membres de l'Union). La Commission a pour but d'assurer le respect des règles de l'Union. La Délégation générale de la Concurrence veille à l'application des normes européennes relatives à la concurrence, garantissant une concurrence juste et équitable (articles 101 à 109 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne).

En matière sportive, la Délégation de la Concurrence intervient pour le respect de l'équité sportive, en lien avec la libre concurrence.

Le Traité sur le fonctionnement de l'Union interdit les pratiques anti-concurrentielles et les abus de positions dominantes. Des particuliers, équipes ou entreprises, peuvent déposer une réclamation auprès de la Commission Européenne, mais la Commission peut également se saisir elle-même. Une fois la plainte acceptée, elle lance une enquête préliminaire. A l'issu de cette enquête, la Commission peut décider de poursuivre le cas prioritairement et ainsi lancer une enquête approfondie, ou de clore le tout.

Au bout de l'enquête la Commission fait par de ses objections aux entreprises concernées qui peuvent évidemment se défendre. Si les doutes de la Commission ne sont pas balayés, elle peut rédiger un rapport provisoire envoyer à la Commission consultative elle même composée des représentants des autorités de la concurrence des Etats Membres. A la fin de ce cheminement juridique, une amende peut être décidée à l'encontre de l'entreprise qui a violé les règles européennes.

La Commission Européenne a déjà affronté deux autres mastodontes du sport. En effet, à plusieurs reprises, elle est intervenue face à l'Union des Associations Européennes de Football (UEFA) et la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), notamment sur la question des transferts. Affronter la F1 relèvera du même équilibre entre les intérêts des uns et des autres et l'application du droit européen.

Ainsi, concernant le Formule 1, le premier point de plainte portée par les équipes Sauber et Force India concerne la répartition des revenus commerciaux. La seconde partie de leur plainte traite elle du Strategy Group. Les deux équipes estiment que la manière dont les règlements sont modifiés et validés par le Strategy Group est illégale. Le Strategy Group favorise les grosses équipes leur permettant « d'orienter les règles et les développements technologiques à leur propre avantage », ce qui augmente leur chance sportive et porte donc atteinte à l'équité et l'égalité sportive.

La plainte a été reçue par la Commissaire et une enquête préliminaire a été lancée. Il appartient désormais à la Formule 1 de répondre aux demandes de la Commission Européenne. Deux scénarios se profilent. La Commission estime que la Formule 1 ne respecte pas les règles de la concurrence et de l'équité et cette dernière modifie son fonctionnement, tout rentre dans l'ordre. Autre possibilité si rien n'est fait par les organes du sport pour mettre un terme à ces pratiques. La Commission pourra alors remettre l'institution sportive à plat et exiger des changements majeurs dans son fonctionnement ainsi que le paiement d'une grosse amende.

Nul doute que le Strategy Group est, au minimum, sujet à débat concernant l'équité et l'égalité sportives. Il en va de même au sujet de la distribution des revenus commerciaux. Mais le travail de la Commission devra être minutieux et prolixe. Pendant ce temps, le Strategy Group continuera de prendre des décisions sans tenir compte de l'avis des plus petits et cela même si une majorité des équipes estime que son fonctionnement est inadapté.