Le tabac a quitté officiellement les F1 en 2006. Après plusieurs décennies de présence, il a fallu à toutes les équipes dépendantes de cette industrie de revoir leur business plan. Le départ des cigarettiers a-t-il était réellement néfaste à la F1 ?
L'aventure entre la F1 et le tabac a débuté dans les années 60. Le 1er janvier 1968, John Love engagea deux voitures lors du Grand Prix d'Afrique du Sud. Sous l'impulsion d'un certain Joe Putter et face à la possibilité de voir le parrainage interdit par la FIA, ce dernier propose à Gunston d'engager les voitures sous son propre nom. Cela permet de contourner la règle qui dit que les voitures doivent avoir d'apposer sur leur carrosserie les produits utilisés dans le cadre de la course. Les voitures coururent sous le nom de Team Gunston, permettant d'apposer le nom du cigarettier sur les monoplaces.
Le championnat ayant connu une pause de cinq mois, les médias furent surpris de voir la Lotus d'une autre couleur et surtout, avec un sponsor sur son flanc. L'association entre Lotus et la marque Gold Leaf naissait, remplacée en 1973 par JPS. BRM suivit le pas en signant un accord avec la marque de cosmétique Yardley en 1970 avant de passer sous les couleurs de Marlboro en 1972. McLaren passera sous les mêmes couleurs dès 1974 et l'aventure du tabac en F1 commença réellement. Avant l'interdiction du tabac en F1 par les différentes lois européennes, le dernier champion à bord d'une monoplace non sponsorisée par un cigarettier n'était autre que Nelson Piquet et sa Brabham aux couleurs de Parmalat.
Une interdiction partielle
La première loi anti-tabac est votée en Italie en 1962. Les amendes pour non-conformité étaient faibles et la loi a été largement ignorée. Il faut attendre 1983 pour voir les amendes être relevées. Durant de nombreuses années, la police locale venait sur le circuit et donnait une amende aux équipes sponsorisées par des cigarettiers.
En 1976, Simone Veil propose une loi qui interdit la publicité du tabac à la télévision, la radio, les panneaux d'affichage, et des films, mais pas dans les magazines, ni lors de manifestations sportives. La même année, l'Allemagne de l'Ouest interdit toute publicité du tabac sur les courses automobiles. Cet accord devient caduque après 1997 et le Grand Prix du Luxembourg couru au ... Nürburgring !
15 ans après la loi Veil, la loi Evin est promulguée le 10 janvier 1991 en France. Cette loi est beaucoup plus stricte que la précédente loi et interdit toute publicité pour le tabac. Le Grand Prix de France 1992 se retrouve alors sous diverses menaces. Le Comité National contre le Tabagisme saisit le tribunal de Quimper afin de faire interdire les publicités lors du Grand Prix de France. Aussi, le tribunal impose 1 500 euros d'amende pour chaque image diffusée. Cette amende provoque la furie de TF1 qui refuse de diffuser la course. Une négociation a alors lieu et elle est diffusée. En décembre 1992, le Grand Prix de France n'est pas au calendrier. De nombreuses négociations ont lieu entre la FISA, la FFSA et le gouvernement français. Une solution est trouvée et en janvier 1993, la loi Evin entre officiellement en vigueur.
Outre la France, la chambre basse espagnole fait la demande auprès du gouvernement pour interdire la publicité directe dans les médias papiers et radio, mais rien ne change. En Chine,la publicité pour le tabac est interdite dès février 1995. Au Canada, la règle est différente. La publicité pour le tabac est interdite sauf pour les évènements sportifs internationaux, ce qui garantit des courses de F1 et de CART dans le pays.
Vers un accord européen
En juin 1997, les ministres européens de la santé se réunissent pour interdire la publicité du tabac dans tous les Etats membres de l'Union Européenne. En octobre de la même année, Max Mosley, alors président de la FIA, lance une lettre à tous les ministres présents à cette réunion pour expliquer qu'il est contre cette interdiction. Rappelons qu'à cette époque, la plupart des sponsors en F1 sont des marques de cigarettes. On compte :
- Rothmans puis Winfield pour Williams ;
- Marlboro pour Ferrari ;
- Mild Seven pour Benetton ;
- West pour McLaren ;
- Benson & Hedges pour Jordan ;
- Gauloises pour Prost ;
- Mild Seven chez Minardi.
On l'aura compris, l'essentiel du business en F1 se fait avec les cigarettiers. Max Mosley ne s'était pas gêné pour exprimer son ressenti. "Nous ne sommes pas prêts à nuire à notre industrie sur la base d'une théorie, ou peut-être même d'une religion, du lobby anti-tabac. Nous ne permettrons pas de perdredes centaines de millions de dollars tout simplement parce que quelqu'un dit qu'il doit y avoir lien entre la consommation et la publicité », lançait-il. A l'époque, il s'était engagé à réduire la publicité du tabac par règlement si les gouvernements pouvaient apporter la preuve que le sponsoring augmente le nombre de consommateurs.
Pas de fumée sans feu...
Si l'affaire a été publiquement dévoilée en 2008, les faits remontent à 1997. A l'époque, la Parti Travailliste remporte les élections. Tony Blair est nommé Premier Ministre. La Reine Elizabeth II exprime dans son discours d'ouverture une loi visant à interdire la publicité du tabac au Royaume-Uni. Cependant, malgré cette loi, on annonce que la F1 est exempt de cette interdiction.
Allons en coulisses. A cette époque, Bernie Ecclestone fait un don de 1,5 millions d'euros au parti politique de Tony Blair. L'argentier de la F1 a fait valoir que la publicité fumante des monoplaces était une source de revenus essentielle pour elle. Il faut dire que pour faire valoir son argumentaire, Bernie Ecclestone a lancé la menace d'une suspension voire d'une suppression du Grand Prix sur le sol anglais. Il n'en a pas fallu plus pour que tout soit mis en oeuvre pour faire une exception.
Plus tard, on apprend que le don a été rendu. Bernie Ecclestone a tout de même eu gain de cause...
Une interdiction totale
En 1998, le Canada annonce son intention d'interdire les publicités sur le tabac dans les cinq années à venir. L'Australie fait aussi l'effort d'interdire la publicité sur le tabac d'ici 2006. Le sponsoring par une marque de tabac est interdite depuis 1992 au pays des Aussies. Seuls les évènements internationaux sont exempts si il y a un risque de perte de ces derniers. Enfin, la Wallonie décide d'aller contre la loi anti-tabac votée en Belgique. La région estime que la loi viole l'autonomie de celle-ci. Elle obtient une dérogation jusqu'au 31 juillet 2003.
Il faut attendre octobre 2000 pour qu'il y ait une réaction de la FIA. Cette dernière annonce qu'elle présentera au Conseil Mondial une interdiction totale de la publicité sur le tabac pour fin 2006, avant de décider que cela devait se faire le 1er octobre 2006. L'Europe décide de taper plus fort et d'interdire la publicité pour le tabac dès le 31 juillet 2005. Mais cela va mettre à mal les Grands Prix en Europe un à un. L'Autriche en pâtit directement en étant supprimé du calendrier. La Belgique subit également une annulation de son Grand Prix.
Si les choses rentrent peu à peu dans l'ordre, la saison 2006 est la dernière saison pour le tabac en F1. BAR délaisse Lucky Strike pour le programme environnement de Honda « Earth Dreams » ; Renault remplace Mild Seven par ING, banque en ligne ; seule Ferrari continue son sponsoring avec Marlboro. La marque de Philip Morris est visible sur trois Grands Prix en 2007 : Bahreïn, Monaco et Chine. En 2008, elle n'est plus visible directement mais suggérée sur le châssis de la Ferrari.
Quel impact sur le budget des équipes ?
Si on regarde le graphique ci-dessus, on remarque une légère baisse des revenus des équipes en F1. Cette baisse est comprise entre 40 et 50 millions de dollars (30 à 36 millions d'euros). Mais le départ des cigarettiers a-t-il eu une incidence sur le niveau des revenus des équipes ? Concrètement, elle a été mineure. La plupart des équipes ont anticipé cette perte comme McLaren qui a tronqué West pour Fly Emirates et plus tard Santander. Aujourd'hui, l'équipe n'a pas de sponsor principal, vivant qu'avec les revenus de quelques sponsors et de l'apport de Honda.
De nos jours, un nouveau type de sponsors a pris place en F1 : les alcools. Martini, Chandon, Johnnie Walker... les marques d'alcool ont progressivement pris leur place sur les monoplaces et apportent avec eux une dot financière utile pour les équipes. Si le budget global en 2006 était de 2,3 milliards d'euros, il n'était que de 1,8 milliards d'euros en 2015. Mais après la lutte contre le tabac, la lutte contre l'alcool vient tout juste de commencer...