Le journaliste David Dumain a accepté de revenir sur la saison 2022 du MotoGP, en donnant ses surprises mais aussi ses déceptions.
« C’était une saison passionnante parce qu’il y a encore et toujours autant de candidats à des poles positions et à des victoires, même si Ducati a clairement dominé la saison au niveau des machines », se réjouit le journaliste et auteur David Dumain, qui a été la voix du MotoGP en France pendant trois années. Plusieurs pilotes se sont illustrés lors de cette saison 2022, avec sept vainqueurs. Le titre est revenu à Francesco Bagnaia et Ducati.
« On a quand même eu la victoire de plusieurs autres marques, comme Aprilia, KTM ou Yamaha. Seul Honda n’a pas gagné. Par rapport à des années où il y avait quatre pilotes qui se disputés toutes les victoires, comme les années Stoner, Rossi, Lorenzo ou Márquez. Aujourd’hui, on sait qu’il peut y avoir des Bastianini, des Binder, des Martín, qui peuvent disputer la victoire à des Quartararo, des Bagnaia et à des Márquez.
Les vainqueurs potentiels sont très nombreux au départ de chaque Grand Prix. Ça n’a pas de prix ! Malgré la domination de Ducati, on a vu plein de constructeurs et de pilotes qui pouvaient disputer la victoire. C’est en cela qu’on vit une période passionnante du MotoGP », ajoute le journaliste à France Racing.
La France à l’honneur en MotoGP
La France a deux pilotes présents sur la grille MotoGP. Fabio Quartararo a tenté de conserver son titre de Champion du Monde tandis que Johann Zarco court après sa première victoire.
« Quand on est français, on a la chance de pouvoir soutenir deux pilotes qui sont extrêmement performants. Johann Zarco et Fabio Quartararo sont là. Certes, on peut être déçu par le fait que Fabio Quartararo n’a pas été Champion du Monde, ou que Johann Zarco n’ait pas gagné. Mais ils font des podiums, c’est magique ! C’est une période enchantée pour le fan français de moto », déclare David Dumain.
Les surprises de la saison 2022
Aprilia
Séparé de l’équipe Gresini, le constructeur italien a connu sa meilleure saison depuis son retour sur la grille. Aleix Espargaró a remporté sa première victoire en catégorie reine, offrant par la même occasion la première d’Aprilia en MotoGP. Mais cette forme peut-elle durer en 2023 ?
« Il n’y a aucune raison pour que l’équipe ne soit pas compétitive la saison prochaine. Néanmoins, la fin des concessions va marquer un coup d’arrêt, comme cela a été le cas pour KTM. Les Autrichiens ont gagné sur certains circuits mais ils ont connu des trous d’air. Ils ne sont pas performants comme Ducati sur une saison.
Aprilia ne sera sans doute pas compétitif sur tous les circuits, mais on peut s’attendre à ce que la marque soit là sur certaines pistes. Il y a tellement de choses à gérer en MotoGP techniquement qu’Aprilia s’est un peu emmêlé les pinceaux cette saison. Aleix Espargaró, immensément soulagé par sa victoire en forme de délivrance, n’a peut-être pas autant poussé par la suite », déclare David Dumain.
Enea Bastianini
Premier vainqueur de la saison 2022, Enea Bastianini s’est battu pour le titre mondial jusqu’à la fin de la saison. Le pilote italien n’est pourtant pas le plus apprécié du paddock.
« Bastianini est un italien qui ne fait pas partie du team VR46, c’est un peu un franc-tireur. On a sur le paddock MotoGP un clan italienne qui fait bloc autour de la VR46 Academy qui il faut le dire fait un formidable travail de recrutement et de promotion des pilotes italiens. Enea Bastianini, lui, est avec Carlos Pernat. Il est un peu à part. Il a explosé parce qu’il a un talent fou, et j’avoue qu’il m’a étonné parce que je ne l’attendais pas. Il a joué sa chance, il a bousculé les consignes de course.
C’est le genre de pilote qui a une confiance absolue en ses capacités. Un tueur ! Avec Valentino Rossi, avec Marc Márquez, avec Casey Stoner plus tôt, on sait que c’est ce genre de profil de pilotes sans pitié sur la piste, dans leur pilotage et leur volonté de gagner, qui vont le plus loin. On peut faire un parallèle avec la F1 en parlant de Michael Schumacher, qui n’était pas apprécié à ses débuts, voire même détesté. On sait ce que ça a donné.
Avec Enea Bastianini, on revient sur un phénomène humain, à savoir que tout ce qui est nouveau déplait. Il est nouveau dans le paysage MotoGP, il est nouveau comme favori, comme prétendant à la couronne, et les nouveaux ne sont pas appréciés. Francesco Bagnaia a dû se faire une place, tout comme Fabio Quartararo aussi. Il y a toujours un moment où on n’a pas le costume et il faut passer ce cap », déclare-t-il.
La saison prochaine, Enea Bastianini laissera son guidon chez Gresini pour rejoindre l’équipe d’usine Ducati.
« C’est un choix logique qu’Enea Bastianini aille au sein de l’équipe d’usine à la place de Jorge Martín. Il a montré beaucoup plus de solidité. Au niveau du talent, les deux se valent. Ils sont inconstants tous les deux.
Mais Enea Bastianini a enchaîné plusieurs victoires avec la manière. Jorge Martín a été présent mais un cran en dessous. Je pense que ça ne se joue pas à grand-chose. La pilule a dû être difficile à avaler pour le pilote Pramac. On est dans un monde sportif mais je pense que rien n’a été promis. Ducati a fait un choix qui n’est pas contestable », ajoute David Dumain.
Les déceptions de la saison 2022
Tech3
Dernière du classement des équipes, l’équipe française a fait courir Remy Gardner, le Champion du Monde Moto2, et Raúl Fernández en 2022.
« Je vais être un peu sévère avec KTM et Tech3. Ce sont des structures qui ne laissent pas leur chance aux pilotes et ça, c’est quelque chose qui m’agace profondément. J’ai entendu des réflexions qui n’auraient pas dû se dire (« ce pilote a atteint son plafond » par exemple). Ce sont des erreurs profondes de management de ne pas laisser sa chance à quelqu’un à qui on la donne.
En gros, on lui donne un bonbon puis on lui retire. C’est nul ! J’ai un avis assez dur par rapport à ces erreurs de management. Je prends pour exemple la F1 où ils ont remplacé en cours de saison Pierre Gasly par Alex Albon. C’était complètement brutal et autoritariste de faire ça, et ça, c’est le fait de Red Bull. Cette gestion du management, qui est humainement ignoble, est sportivement contre-productive.
Ça donne des pilotes en crise de confiance et une marche en avant plus difficile. Chez Ducati, par exemple, on soutient bien plus les pilotes », explique l’ancien commentateur du MotoGP.
Le départ Suzuki
Suzuki a annoncé le lendemain du Grand Prix d’Espagne son départ du MotoGP. Le constructeur qui a emmené Joan Mir au titre en 2020 a pris tout le monde de court, à commencer par les deux pilotes.
« L’histoire Suzuki, c’est un vrai gâchis ! Mais il faut la regarder avec un peu de recul. Je sais que si Joan Mir n’avait pas été titré en 2020, Suzuki se serait retiré plus tôt. Ce n’était pas dans les plans de Suzuki de rester en MotoGP. Comme dans toutes les entreprises, il y a des gens qui signent des contrats, des lignes de budget qui sont votées, puis qui sont coupées, cela se joue dans de hautes sphères. Dans la haute direction de Suzuki, Ce n’était pas le plan de rester en MotoGP.
Il y a sûrement des personnes chez Suzuki qui ont pensé sauver l’histoire en resignant un contrat mais pour la direction du constructeur, c’est une goutte d’eau. Lorsqu’il a fallu casser le contrat, ils n’ont pas sourcillé. C’est quelques dizaines de millions d’euros comparés aux milliards d’euros que Suzuki a investi dans une usine de batteries électriques en Inde. Pour ce projet, il fallait faire des économies.
Le MotoGP n’est pas très important pour la stratégie globale de Suzuki. Ça reste une erreur à mon sens, car la vitrine sportive est importante pour une marque qui fabrique des véhicules. La catégorie reine du sport moto a beaucoup d’effets dans les pays émergents où Suzuki a décidé de fixer ses priorités. D’ailleurs, pendant longtemps, ils avaient l’énorme logo Suzuki sur le carénage.
Cela leur a permis de vendre de nombreuses petites cylindrées. Le MotoGP est pourvoyeur d’image, et Suzuki en a besoin. Ça reste un gâchis sportif pour le projet Suzuki qui a été développé. C’était un très beau projet, que certains chez Suzuki pensaient sauvé, en signant un nouveau contrat avec Dorna, en recrutant Livio Suppo. Hélas, la détermination des patrons de Suzuki a été plus forte », conclut David Dumain.