L’interview a été réalisée avant la manche de Misano.

Jules, vous commencez dès votre plus jeune âge par du karting puis de la gymnastique avant d’atterrir sur une moto. Quel a été le déclic pour passer de 4 à 2 roues ?

Mes parents ont fait tous les deux du karting et ont toujours été fan de sports mécaniques. Je suis dedans depuis que je suis tout petit. Ils ont fait aussi de la moto. Un jour, ils ont vendu leur commerce de grossiste en fruits et légumes pour acheter une concession de motos. De là, ils m’ont demandé si ça m’intéressait d’essayer. Le karting, pour arriver à un haut niveau, ça demande des moyens assez importants. Alors, j’ai essayé la moto et j’ai vraiment aimé ça. La vitesse m’a beaucoup plu, même si j’avais eu une expérience en karting et en motocross avant.

Vous commencez la compétition en 2004. En 2005, vous bénéficiez d’une Wild Card pour courir le Grand Prix de France 125cc avec votre équipe du Championnat de France en plus de votre saison en Open 125. Comment s’est passé ce premier meeting dans le grand bain ?

Me retrouver là un an après mes débuts en moto, c’était inespéré ! En 2004, je regardais la course derrière les grillages, sans m’imaginer être l’année d’après avec tous ces pilotes. Ça a été une très belle expérience qui m’a beaucoup plu, même si ça a été compliqué. Il y avait une grande différence à l’époque en 125cc entre les équipes privés et les teams officiels.

Cette Wild Card au Mans a été dans la continuité de mon contrat avec l’équipe en Championnat de France. Etant dans les trois premiers avant le Grand Prix de France, j’ai été automatiquement sélectionné pour le faire.

J’ai pu retenter l’expérience en fin d’année avec l’équipe Malaguti (à Istanbul et à Valencia) en remplaçant le pilote officiel de l’équipe Michele Pirro. Entre ces deux moments, j’ai fait plusieurs courses en Europe. Cette année 2005 a été la plus complète. Cela a été très important pour ma carrière d’aujourd’hui. Finir cette année-là, après avoir fait beaucoup de courses, par le Mondial a été le top.

En 2006, vous passez en 250cc. Pourquoi ne pas avoir continué en 125cc ?

Tout simplement par manque de possibilités. J’avais vraiment envie d’aller en Mondial et mon manager, Eric Mahet, s’est dit que ça pouvait être une bonne idée et me faire gagner un peu de temps. Cette décision a été commune. J’étais excité par cette idée même si j’avais un peu peur. Avec du recul, c’était un trop tôt, surtout au bout de deux années de compétition moto. C’était une grosse étape pour moi d’aller en 250cc avec une moto Kit donc plus que privée parmi les motos officielles et semi-officielles.

Vous restez deux saisons en 250cc. On peut dire que vous faites parti de la seconde moitié des pilotes (20e en 2006 et 21e en 2007). A ce moment-là, est-ce qu’on se pose des questions, en se demandant si on a fait le bon choix, ou on prend cette expérience comme une leçon pour avancer ?

A ce moment-là, je ne sais pas trop quoi penser parce que je n’avais pas l’expérience. Je me suis rendu compte que le matériel avec lequel je roulais était moins performant que les « tops ». Je ne savais pas à quelle niveau, chose que j’ai compris par la suite. Mais il est vrai qu’il y a eu une grosse période de doute. Il y a eu beaucoup de chutes aussi, du fait que je sois un jeune pilote, sans expérience, avec des motos moins performantes. Mais j’avais envie donc j’essayais malgré tout. Ça reste une période compliquée et difficile, mais enrichissante puisque ça m’a permis de continuer par la suite avec un meilleur matériel.

En 2008, vous retournez en 125cc. Vous faites une saison blanche, sans point. Pourquoi ce retour en 125cc ? Et que se dit-on après une saison sans point, surtout concernant son avenir ?

Aller chez Loncin en 125cc était l’une de mes seules possibilités pour courir sans devoir amener du budget. Malgré tout, le projet semblait intéressant mais compliqué sur le papier. On s’en est rendu compte rapidement puisque les essais hivernaux et le début de la saison ont été compliqués. Avec Alexis Masbou, mon coéquipier, on se battait en piste. Même si elle n’a pas été simple, on a réussi à faire de bonnes choses, entre les soucis mécaniques et le manque de performance, même si on n’a pas marqué de points. Il y avait beaucoup de pilotes en 125cc, ce qui rendait l’accès aux points compliqué.

Cette année a été aussi enrichissante puisqu’il fallait toujours faire plus pour pouvoir se bagarrer avec les autres. Mais cette saison a donné un hiver compliqué pour trouver un guidon en 2009. C’est un monde sans pitié. S’il n’y a pas de résultats, y’a pas beaucoup d’offres l’année d’après.

Comment s’est passé le contact avec l’équipe Matteoni Racing pour la saison 2009 ?

A ce moment-là, mon manager n’avait pas de solution pour moi. Ça semblait être le néant pour 2009 et j’ai eu la chance d’avoir l’ancien team manager de l’équipe Angaia Racing dans l’équipe. Je pense qu’il m’aimait bien et qu’il croyait en moi. Cette proposition me permettait de n’apporter aucun budget. C’était, je pense, l’offre la plus importante de ma carrière puisqu’elle a fait inverser la tendance entre les motos très moyennes avec une bonne moto, compétitive.

Première course, premier podium. A ce moment précis, on pousse un « ouf » de soulagement…

Oui ! Le rêve que j’espérais tant depuis des années s’est réalisé. Dès les essais hivernaux, je me suis tout de suite rendu compte que c’était autre chose par rapport à mes motos passées. J’ai réussi à faire le troisième temps des essais hivernaux officiels avec Simoncelli et Aoyama devant moi. J’ai su tout de suite qu’il y avait du potentiel et ça motive, même si je suis quelqu’un de motivé de nature, parfois trop. Aux essais hivernaux avant le Grand Prix du Qatar, j’étais encore devant. Au Qatar, je monte sur le podium à la surprise générale, une des plus belles courses de ma carrière.

Vous finissez le championnat à la 12e place avec 82 points. L’année suivante, la 250cc devient la Moto2. Vous rejoignez l’équipe Forward pour 2010 et 2011. Vous remportez le Grand Prix de Silverstone, la première victoire depuis votre arrivée en Mondial. Se dit-on « j’oublie tous les déboires du passé et je peux jouer le titre » ?

Non. A ce moment-là, la victoire était attendue puisque ça faisait quelques courses que je passais à côté. En 2009 déjà, il y a quelques podiums sur lesquels j’aurais du monter. Il y a de nombreuses déceptions mais beaucoup de joies. En 2010, je passe à côté [du podium] juste avant Silverstone. Mais ça fait beaucoup de bien de gagner. A ce moment-ci, on ne pense pas au titre mondial. Ça faisait 2- 3 courses que je passais à côté, du à des erreurs et là, il n’y a pas eu d’erreurs, j’ai gagné la course mais je me suis dit « on verra par la suite ». Après, il y a eu quelques déceptions par la suite. Si le début de la saison 2010 a été bon, la fin a été compliquée.

Fin 2011, vous êtes remercié par Forward. Vous vous y attendiez ? Aviez-vous un plan B ?

Chez Forward, il y a eu un changement de direction durant l’hiver 2010/2011. Ils ont voulu me garder en 2011, sûrement content de ce que je faisais. A ce moment-là, chez Forward, il y avait un manque de performance. L’équipe n’était plus trop sur les papiers pour obtenir le meilleur soutien au niveau châssis. On a été de moins en moins performant au fur et à mesure des courses. J’ai compris après que ce manque de performance n’était pas seulement de ma faute. Lorsque Forward a changé de châssis en cours de saison 2012, l’équipe a de suite mieux fonctionné.

La Moto2 est pire que toutes les autres catégories. C’est « marche ou crève ». Dès le début de la saison, il faut que l’équipe soit la plus intéressante pour le constructeur. Avec mon expérience et ma confiance en moi, la Moto2 n’était pas la bonne catégorie pour moi à ce moment précis. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus confiant et je sais de quoi je suis capable, donc je pourrais y retourner et ça se passerait autrement.

Pour revenir à l’expérience Forward, on a eu des moments difficiles fin 2010, mais il croyait en moi, et moi je croyais en la possibilité que ça s’améliore. Mais rien ne s’est amélioré en 2011. Le changement était nécessaire pour moi et pour eux aussi. Le problème est que je me suis retrouvé sans possibilité d’apporter de budget pour rouler dans d’autres équipes. Ça a été une période creuse. Il a fallu prendre la décision de changer de catégorie et ça a été plutôt bénéfique pour moi. A partir de 2012, C’est là où j’ai beaucoup plus appris et où j’ai plus pris confiance en moi.

Existe-t-il une différence entre le monde du Supersport où vous courrez depuis 2012 et l’univers du Mondial qui comprend les catégories allant de la Moto3 à la MotoGP ?

En Supersport, les motos sont simples. Comme je l’ai dit, lorsque je suis arrivé, je n’avais pas confiance en moi. Je suis arrivé en 2005 dans le circuit Mondial, je n’avais qu’une année de moto. Que ce soit pour retranscrire les sensations, faire évoluer la machine, pour être sûr de ma performance, je n’avais aucune information, aucune expérience. J’ai eu le besoin de rouler sur des motos où il n’y a rien à toucher et c’est ce qui m’est arrivé en 2012.

Je suis arrivé chez PTR Honda, une équipe qui a gagné des courses et qui a joué des titres mondiaux. La moto étant la même depuis des années, je suis monté sur la machine, en laissant les réglages qu’il connaissait. Je n’avais plus qu’à me concentrer sur mon pilotage et ça m’a fait énormément de bien. Il n’y a aucune excuse et je suis monté sur une moto que l’équipe savait faire fonctionner.

J’ai pris beaucoup de plaisir parce qu’en Moto2, tout le monde se cherchait sur les débuts et surtout, c’est politique. Comme je l’ai dit, il faut être sur les bons papiers, que ce soit l’équipe ou le pilote, et ça fonctionnera. En Supersport, il n’y a pas cet aspect. Que ce soit une Honda, une Yamaha, une Suzuki ou une Kawasaki, tout le monde arrive à se bagarrer ensemble, se jouant parfois à quelques dixièmes, alors que les motos sont différentes. On a des 3 et des 4 cylindres, des châssis différents. En Moto2, tout le monde a le même moteur mais il y a des gros écarts. On ne comprend pas d’où cela vient. Je pense qu’il y a quelque chose de malsain de ce côté-là.

L’aspect politique visant à aider certains pilotes ou certaines équipes à se montrer peut être un argument dans la balance pour une montée en MotoGP par exemple.

C’est aussi une question de moyen d’équipe. Après, j’ai mon expérience personnel et je pense que d’autres pilotes qui ont fait le changement Moto2/Supersport peuvent en parler aussi : le monde du Supersport est bien plus simple. C’est assez incompréhensible de voir des motos complètement différentes arriver à se bagarrer les unes avec les autres alors que comme je l’ai dit, la Moto2 utilise les mêmes moteurs et les pilotes d’une course à l’autre se retrouver devant puis derrière. C’est assez bizarre et je pense que les pilotes ne comprennent pas.

Cette saison, début assez difficile à Philip Island puis une victoire en Thaïlande. Vient ensuite divers bons résultats même si à Assen, vous avez chuté au second départ. Si on jette un coup d’œil dans le rétro du début de la saison à maintenant, Vous sentez-vous en confiance et prêt à vous battre pour le titre ou visez-vous le podium final ?

Aujourd’hui, je suis plus dans une période où je prends les courses les unes après les autres pour voir comment sortir de cette période un peu compliquée. Le règlement a changé cet hiver, l’équipe a changé aussi, et nous sommes actuellement dans une période où on est en train de trouver de la performance. Certains set-up fonctionnent mieux que d’autres et on sait pourquoi, ce qui explique la victoire en Thaïlande et des courses plus compliquées comme Assen ou Donington.

Aujourd’hui, je ne pense pas au championnat. On doit s’améliorer. Je pense que le podium final est possible, mais l’objectif est de se faire plaisir course après course, de remonter sur le podium et gagner d’autres courses si possible.

Quel est le principal problème de la moto cette saison ?

La gestion du grip, que ce soit au freinage ou à l’accélération. Entre cette année et l’année dernière, l’électronique a changé. Il nous faut adapter la moto à ce changement et même le caractère du moteur. On n’a pas eu beaucoup de temps pour faire ça. Le team n’a presque jamais eu les motos à l’atelier des essais hivernaux jusqu’à maintenant. C’est assez dommage d’attendre parce qu’on a du travail mais on ne peut pas vraiment le faire. Il a fallu un peu subir et essayer de s’en sortir au mieux. On a réussi à accrocher deux podiums avec une victoire et on espère repartir sur un podium à Misano, ce qui est possible puisque c’est un circuit qui nous sourit depuis le début avec cette moto. Même si aujourd’hui, on est moins performant, on peut faire une bonne performance là-bas.

Avez-vous des regrets de ne pas être allé en MotoGP ?

Pas vraiment. La MotoGP fait rêver tout le monde et m’a fait rêver aussi jusqu’à aujourd’hui. Mais il faut être lucide. Avoir une moto officielle en MotoGP aurait été très compliquée, notamment avec le parcours que j’ai eu. Je prends ce que je peux et surtout, je prends beaucoup de plaisir. Je suis le meilleur pilote que j’ai été depuis le début. Aussi, je suis en pleine forme. Malgré mes 27 ans, avec le parcours que j’ai eu, la meilleure expérience que j’aie et celle d’aujourd’hui. La MotoGP, je n’y pense pas vraiment. Je pense plus à gagner le maximum de courses dans les catégories que je suis, peut-être le Superbike, pourquoi pas la Moto2. On prend ce qu’il y a à prendre.

Luis Salom nous a quitté récemment suite à un accident à Barcelone. Vous qui avez fait de nombreuses catégories et qui avait une grande expérience, pensez-vous que la sécurité des pilotes soit optimale, que ce soit au niveau des équipements ou des circuits ?

Ils travaillent beaucoup sur le sujet. Ce qui est arrivé à Luis Salom est malheureux. Tout le monde a dû être surpris, surtout qu’il y a eu beaucoup de roulages sur cette piste. Je ne veux pas commenter cet accident car je n’ai pas les éléments pour en parler. On le sait tous, on fait un sport à risques. Ce genre de choses peut malheureusement arriver même si tout est fait pour que ce soit évité. Maintenant, on est assez limité. Ils ont pris la décision de changer la dernière portion du circuit.

Au niveau de notre équipement, un réel travail est fait pour notre sécurité, que ce soit les cuirs, les casques, l’équipement en général avec les airbags mais on reste limité pour éviter de gêner notre mobilité sur la moto. On ne peut pas se mettre dans un caisson. Tout le monde essaye de faire en sorte que ça s’améliore, les circuits avec mais la priorité n’est pas la moto pour ces derniers. Les circuits sont généralement faits pour la F1. Malheureusement, on subit un peu tout ça mais si on regarde il y a 20 ans et aujourd’hui, les équipements ont été améliorés.