Trois ans après l'exploit de Vittorio Brambilla, l'Autriche fut à nouveau frappée par les caprices du temps. Lesquelles provoquèrent une sacrée confusion, y compris pendant l'interruption de l'épreuve...

Depuis 1975, la physionomie du plateau avait bien évolué. Lotus venait d'imposer son fameux effet de sol revenu récemment à la mode en Formule 1. Ainsi Mario Andretti et Ronnie Peterson eurent souvent la vie facile durant cette saison. Surtout le premier, pilote N°1 de Lotus par contrat, forçant le second à assurer un doublé plutôt que de véritablement concurrencer l'Américain. Mais l'annonce d'une averse pouvait lui venir en aide, son adresse dans ces conditions était reconnue de tous.

Il n'eut cependant pas besoin de Miss Météo pour signer la pole devant son leader supposé. La surprise vint de la Renault de Jean-Pierre Jabouille, troisième. Certes, l'altitude étouffant les moteurs atmosphériques avantageait clairement son moulin turbocompressé mais la « théière jaune » fit son chemin sans grosse alerte technique pour une fois, offrant une première illustration du plein potentiel de cette technologie. Un an après avoir subi les quolibets moqueurs des britanniques, on commençait doucement à suspecter le bienfondé de cette entreprise de l'autre côté de la Manche, au point qu'Autosport y consacra son éditorial dans le numéro suivant le Grand Prix. Le magazine prédit notamment, et avec raison, un futur succès en 1979 pour la Régie.

A noter qu'une séance d'essais fut interrompue à cause de...parachutistes atterrissant sur le circuit !

Une des plus belles grilles de l'histoire

Alors qu'une des grilles les plus glorieuses de l'histoire prenait forme – treize vainqueurs à l'époque, vingt-et-un après coup ! – les premières gouttes commençaient à humidifier le beau tracé de l'Osterreichring. Mais pas assez pour que les pilotes se séparent de leurs slicks immédiatement, d'autant que toutes les portions du circuit ne furent pas touchées en même temps. Une situation qui exposa les monoplaces à de nombreuses glissades au bout de quelques minutes.

Une des victimes fut Jody Scheckter qui échoua sa Wolf dans...la Lotus abandonnée de Mario Andretti, éliminée dès le premier tour ! Les joies des temps où on laissait les voitures hors course traîner dans les échappatoires... On dénota également Hans-Joachim Stuck (Shadow) accrochant la Ferrari de Reutemann où l'Arrows de Riccardo Patrese manquant d'emporter des rivaux dans son ballet improvisé. Didier Pironi fit de même lorsqu'il rectifia la moustache de sa Tyrrell dans le rail, puisqu'il se remit dans le bon chemin sous le nez de Niki Lauda. Sans compter d'autres erreurs non captées par la réalisation locale.

Avec les disparités côté vitesse entre ceux ralentissant en conséquence et ceux bravant les éléments, il est incroyable qu'il n'y ait pas eu plus de dégâts. Guettant une averse trop importante, la direction de course interrompit ce qui était devenu une épreuve de patinage artistique. Notons qu'un des premiers – et seuls vu le timing de l'interruption – à avoir opté pour des pneus pluie fut Gilles Villeneuve. Celui qui était encore considéré comme un joyeux illuminé à ce stade précoce de sa carrière s'avéra un des plus précautionneux ce jour-là.

Confusion générale

Autre élément incongru : le leader Ronnie Peterson sortit de la piste juste après l'officialisation de l'interruption, tel Brambilla trois ans plus tôt ! Mais comme le classement retenu était celui en cours deux tours plus tôt, le Suédois restait officiellement en tête de file devant son ex-équipier Patrick Depailler (Tyrrell), qui avait gagné dix places dans le premier tour. Une double chance pour Ronnie.

En effet Peterson fut poussé par les commissaires pour repartir. Or il fallait revenir aux stands par ses propres moyens pour être éligible à la « deuxième manche » du Grand Prix. Le classement final allait être établi par l'addition des temps et écarts des deux parties de course.
Sauf qu'avec l'établissement d'un premier classement fixé avant son erreur, celle-ci devint nulle et non avenue et Peterson prit part à l'épreuve sans être inquiété. Autre élément témoignant d'une époque trop relâchée : le Suédois rejoignit son stand après cette poussette... sans son casque !

Carlos Reutemann ne fut pas aussi verni. Lui aussi aidé par les commissaires pour reprendre la piste, il fut finalement disqualifié... après une vingtaine de tours. La direction de course ne s'était pas rendue compte de l'infraction immédiatement tant la confusion régnait après le drapeau rouge. Et comme Carlos avait échoué dans les broussailles autrichiennes deux tours avant le drapeau rouge, il passa sa seconde manche virtuellement parmi les premiers mais officiellement avec deux boucles de retard sur tout le monde...

Pire encore, Riccardo Patrese vit sa monoplace remorquée durant l'interruption, à priori pour être évacuée des dégagements, donc mise hors course. Sauf que son équipe parvint à la récupérer en toute discrétion afin de l'aligner au second départ ! Entre ça et leur premier modèle plagié sur la Shadow (qui venait d'être déclaré illégal), Arrows ne se distinguait pas de façon positive pour ses débuts. Et c'était sans compter sur le pilotage erratique de son pilote déjà fustigé par ses pairs.

Ici, la direction de course n'eut même pas le temps de l'exclure : Patrese finit dans le rail dès le deuxième départ après avoir voulu éviter la Brabham de John Watson, qui avait calé.

A la poursuite (vaine) de Lotus

Un deuxième départ où la pluie avait stoppé mais tout le monde partit en pneus pluie. Ce qui n'empêcha pas les erreurs de Patrick Tambay (McLaren), Alan Jones (Williams) et James Hunt (McLaren) dès le premier tour de cette seconde course ! Peterson démontra lui une fois de plus son habileté en dépassant Depailler à l'extérieur du virage Bosch pour reprendre le commandement perdu au second démarrage. Plus personne n'allait le contester, d'où l'ironie de Denis Jenkinson dans son contre-rendu « la course était lancée, si tenté que l'on puisse qualifier la poursuite de la Lotus rescapée comme une course ».

Avec la piste séchante, l'enjeu était de savoir qui chausserait les slicks au bon moment et quels pilotes parviendraient à conserver les gommes « pluie » en état. Reutemann s'avéra excellent dans le second exercice en remontant – virtuellement – tout le peloton, bien aidé par des Michelin adéquats dans ces conditions. Mais il allait trop insister avec, enchaîner les petites erreurs avant de subir l'exclusion évoquée précédemment. Un pilote de pointe éliminé de plus : Lauda sortit également de la piste et Watson était retardé depuis le départ.

Ainsi, des seconds couteaux inattendus parvinrent à se distinguer comme Stuck en bataille pour le podium avec une modeste Shadow ou le débutant Derek Daly longtemps quatrième sur Ensign. Les deux hélas se laissèrent également piéger par l'exigeant Osterreichring, le second finissant disqualifié après avoir bénéficié d'une aide extérieure pour repartir. Avec un tel nombre d'erreurs, rien d'étonnant de ne compter qu'onze voitures à l'arrivée et neuf classées. Clay Regazzoni (Shadow) et Keke Rosberg (Wolf) avaient accumulé trop de retard.

Dernière victoire de Peterson

Peterson remporta donc sa dixième et dernière victoire, non sans signer le hat-trick puisqu'il combina victoire, pole et meilleur tour. Pas étonnant que beaucoup d'observateurs considérèrent ce Grand Prix comme son plus bel exploit. Johnny Rives de L'Equipe lui attribua un parfait 10/10 dans son carnet de notes d'après-course, une rareté de la part du journaliste. Comme à Kyalami lors d'une épreuve aussi animée, Depailler fut son dauphin et Villeneuve monta sur son premier podium. Gilles était parvenu à maintenir ses pneus pluie en état durant vingt tours, soit plus que tous les autres. Le Canadien commençait doucement à convaincre les observateurs. A noter que le héros maladroit de 1975, Vittorio Brambilla, marqua le dernier point de sa carrière ici.

Une course au final bien animée grâce aux conditions, à laquelle Colin Chapman resta pourtant insensible. "Ce n'est pas ce que j'appellerais une vraie course automobile" fut son commentaire après coup. Autosport lui emboîta le pas dans son résumé d'époque, qualifiant le Grand Prix de "légère déception". Comme quoi, même les glorieuses seventies pouvaient parfois laisser froid les observateurs et acteurs du milieu.

Le suspens pour le titre mondial était certes non-existant du fait du statut de N°2 de Peterson, mais ce dernier avait démontré une fois de plus qu'il méritait bien mieux que ce rôle ingrat. Hélas, le destin lui réserva un bien plus funeste sort à Monza...