Parmi les courses hors-championnat de la F1 et autres événements spéciaux, on notera le "Gunnar Nilsson Memorial Trophy" en l'hommage du Suédois, Gunnar Nilsson emporté par la maladie le 20 octobre 1978.

Le Formula One Circus s'est déplacé en cette fin de mois de mai 1979 dans les rues de Monaco. Le Grand Prix de Suède programmé mi-juin est annulé et début juin, Patrick Depailler, en lutte pour le titre mondial, se fracture les jambes dans un accident de deltaplane dans son massif central natal.

Ces évènements font passer au second plan un meeting qu'aucun palmarès de formule 1 ne retient, le "Gunnar Nilsson Memorial Trophy", une course hors-championnat. Mais qu'a eu de spécial cette course pour ne pas être mentionnée dans les statistiques ? Pourtant elle s'est bien déroulée avec des pilotes et des écuries de Formule 1.

© DR - Affiche du Gunnar Nilsson Memorial Trophy

Gunnar Nilsson, l'espoir de la F1

Gunnar Nilsson était un pilote suédois, né à Helsingborg le 20 novembre 1948. C'est en Formula Super Vee allemande qu'il commence sa carrière en monoplace. La même année, il dispute la course de Formule 2 programmée au Norisring où il se classe 4e après une hécatombe chez les autres concurrents, qui épargna le team Rondel qui réalisa un triplé ce jour-là avec ses 3 pilotes Tim Schenken, Tom Pryce et notre Henri Pescarolo national, tout juste vainqueur de ses deuxièmes 24 Heures du Mans sur Matra (1972).

La saison suivante voit Nilsson monter en F3 allemande puis en 1975, il part en Angleterre dans le prisé "BP Formula 3 Championship". Il y gagne 8 courses et le précieux titre en fin d'année et gagne 4 autres épreuves du championnat British Formula Atlantic, formule à mi-chemin entre la F3 et la F2.

© DR - Gunnal Nilsson

Ses débuts en Formule 1

Alors qu'il envisage de passer dans le championnat européen de Formule 2 chez March pour 1976, son compatriote Ronnie Peterson se fâche avec les dirigeants de l'écurie Lotus et désire quitter l'écurie en début de saison pour rejoindre March, aussi impliquée en F1. Dès lors Colin Chapman passe un accord avec Robin Herd pour échanger leurs pilotes… Gunnar est donc un pilote de Formule 1.

Il est âgé de 28 ans et l'écurie Lotus est en pleine reconstruction, la Lotus 77 certes bien-née est souvent victime d'un manque de fiabilité. Colin Chapman pense déjà à sa future Lotus 78 révolutionnaire à "effet de sol" qui ouvrira une nouvelle ère de la Formule 1. Pourtant Gunnar finira 3e du Grand Prix d'Espagne dès sa troisième participation en Grand Prix… A nouveau 3e en Autriche et il finira sa première saison au 10e rang de cette saison 1976 que le film "Rush" a surtout mis en lumière pour le duel Lauda / Hunt.

Pour 1977, Nilsson roule à nouveau avec Lotus et la 78 "wing-car", les fameuses monoplaces à effet de sol. L'auto a une tenue de route époustouflante, mais c'est le nouveau moteur Cosworth qui fait des siennes et manque cruellement de fiabilité, de même que le châssis. Souvent aux avant-postes, les Lotus ne transforment pas les bons résultats. Pourtant à Zolder sous le déluge puis sur une piste s'asséchant, Gunnar fera une course ahurissante.

Après avoir été retardé par un arrêt aux stands trop long pour passer les pneus slicks, il doublera nombre de ses concurrents. Il reprendra jusqu'à 5 secondes par tour sur le leader Niki Lauda qu'il dépassera sans coup férir à 20 tours de l'arrivée et remportera sa première victoire en Grand Prix. Quelle promotion pour le Grand Prix de Suède devant se disputer deux semaines plus tard !

Mais Gunnar cache son état de santé, Il a été diagnostiqué avec un cancer des testicules. Ses performances vont s'étioler dû aux divers traitements qu'il doit suivre, mais il persiste à piloter. Un dernier podium à Silverstone lui rendra un peu le sourire. Pressenti pour signer avec l'écurie Arrows pour l'année 1978, il doit se résoudre à renoncer et à se soigner.

Il espère faire son come-back pour la saison 79 malgré la perte d'une trentaine de kilos. Le monde de la Formule 1 le côtoiera à nouveau lors des obsèques de son compatriote Ronnie Peterson suite à son accident de Monza 1978.

Mais sa maladie est plus forte et il décède le 20 octobre 1978 dans un hôpital Londonien (39 jours après son compatriote Peterson). Voyant le nombre de personnes bien plus jeunes que lui, atteintes de la même maladie, il venait de créer une campagne portant son nom pour aider les hôpitaux à s'équiper en matériel et avoir les moyens financiers dans la lutte contre ce cancer. Il y contribuera largement avant son décès.

Rendre hommage à Gunnar Nilsson

Tom Wheatcroft, magnat soutenant le sport automobile britannique, venait de réaliser son rêve : remettre en état le circuit de Donington Park. Outre le fait qu'il y créa une magnifique collection automobile avec ses nombreuses Formule 1 d'époque, et organisait des meetings de F3 et berlines, il voulait redonner du lustre à son circuit en faisant venir des compétitions de F1 et proposa de l'organiser pour le mois de juin 1979, un mémorial en l'honneur de Gunnar Nilsson dont les recettes iraient à sa fondation.

En effet, le calendrier du championnat du monde avait une pause de plus d'un mois entre les Grand Prix de Monaco et celui de France suite à l'annulation du Grand Prix de Suède d'Anderstop (pour des problèmes financiers et d'organisation) dont la popularité avait baissé dans le cœur des fans scandinaves avec la perte de leurs deux champions.

Mais les compétitions de Formule 1 hors-championnat se faisaient de plus en plus rares. Les courses de la "Race of Champions" de Brands Hatch et le "BRDC International Trophy" de Silverstone étaient menacées par le rythme de plus en plus élevé des compétitions du grand cirque de la F1.

De plus, la FIA et le British Racing Drivers Club n'ont pas autorisé Donington à organiser la course. Donc un blocus se produit et malgré tout, Tom Wheatcroft fut tenace. Après avoir envoyé des invitations à toutes les écuries de Formules 1, il eut l'idée d'organiser sa course non pas avec un format traditionnel essais / course, mais de la faire sous forme de contre-la-montre. Il se dit qu'ainsi, les écuries pourraient bénéficier d'une journée de test gratuite pour eux. Quelques écuries répondirent par la positive, l'idée séduit finalement le BRDC qui supportera l'évènement.

Le Gunnar Nilsson Memorial Trophy

Lotus envoya une Lotus 80 et une Lotus 79 en voiture de réserve avec le Champion du Monde en titre, Mario Andretti (et ex-équipier de Gunnar Nilsson chez Lotus). Brabham avait prévu d'aligner le double Champion du Monde Niki Lauda, mais celui-ci ne pût venir, retenu par d'autres engagements commerciaux. Il fut remplacé par la valeur montante qu'était Nelson Piquet.

Et quoi de plus logique que de faire rouler la Brabham BT46B avec son aspirateur, gagnante du Grand Prix de... Suède 1978 (on apprécie le clin d'œil), mais bannie par les instances internationales de la F1 à cause de la dangerosité de son dispositif dans une course en peloton.

Walter Wolf envoya le héros local et Champion du Monde 1976, James Hunt, avec la Wolf WR8. Une occasion de tester certaines améliorations sur la voiture. Williams était présente aussi avec la FW07 et l'Australien Alan Jones, qui allait dominer la seconde partie de saison en Formule 1. Arrows, enfin, est là avec le Britannique Rupert Keegan. Keegan n'est pas le pilote habituel de cette voiture, mais était un très proche ami de Gunnar Nilsson.

Une foule nombreuse est venu assister à ce meeting, on compte plus de 20 000 spectateurs qui sont là et peuvent assister également à une manche du BMW Procar, série qui se disputait généralement en lever de rideau des courses de Formule 1 avec les BMW M1 pilotées par des pilotes invités, généralement déjà pilotes de F1 ! Une autre époque ! Pour la petite histoire c'est Nelson Piquet qui s'imposera ce jour-là.

Également au programme, une course de Formule 3 britannique, une course du BMW County Championship, une course remportée par un jeune pilote nommé... Martin Brundle ! Il ne sera connu du grand public que quelques années plus tard.

Enfin, en course de support, il y avait aussi une course de Sport Proto 2000 cm3. Il y avait aussi des tours de démonstration par les champions de F1 et les gloires du passé, Denny Hulme sur une Cooper-Climax, Dan Gurney dans une BRM P25 et Jackie Stewart dans une Tyrrell 006/2. Le point culminant était cependant Juan Manuel Fangio à bord de la Mercedes-Benz W125.

© Tim Marshall / Mercedes-Benz W125 - Juan Manuel Fangio

Pour la bonne cause...

En plus des quelques stars qui sont là : Jackie Stewart, Juan Manuel Fangio, Dennis Hulme, on voit même la présence du membre des Beattles, George Harrison, grand fan d'automobile. Cette "course" de F1 se déroula avec une série d'essais, les pilotes s'élançant un par un, le matin, puis la course en contre-la-montre dans l'après-midi. Un tour lancé pour chaque pilote puis trois tours chronos et un tour de décélération. Le tour le plus rapide est retenu pour le classement. Le moins rapide partant en premier etc...

© DR / George Harrison

Keegan fut le premier à partir mais Il ne fut pas très rapide et ne pût battre le record de la piste détenue par Brian Henton sur sa Toleman F2. James Hunt assura le spectacle avec la Wolf aux grands enchantements du public acquit à sa cause quoi qu'il arrive. Mais personne ne se doutait qu'il allait annoncer sa retraite sportive quelques jours plus tard. Nelson Piquet parti en troisième avec la Brabham, la "fan-car" mais n'était pas à l'aise avec, il était plus lent que James Hunt d'une seconde pleine.

© DR / Williams FW07 - Alan Jones

La Lotus 80 ayant rencontré une défaillance de suspension, Mario Andretti parti avec la Lotus 79. Il échoua à un dixième de Hunt. Alan Jones démontra les qualités de la nouvelle Williams en surclassant ses adversaires du jour de plus d'une seconde. Mais l'essentiel était là : Tom Wheatcroft avait réussi son pari.

Toutes les recettes furent données à la Gunnar Nilsson Cancer Foundation et Donington revivait au rythme de la F1. Certes cette compétition n'a plus eu lieu mais Donington revu quelques années plus tard le grand cirque de la Formule 1 pour le Grand Prix d'Europe en 1993.

© DR - George Harrison / Jackie Stewart

Interview de Jackie Stewart et George Harrison