Si l'idée d'un sondage général auprès de la communauté des fans des F1 est une bonne idée, encore faut-il qu'elle soit mise en application de manière efficace mais également pertinente. Sortie du grand chapeau du GPDA, groupuscule sévissant inutilement en F1 ces derniers temps, le sondage qui devait enfin permettre à la F1 de comprendre et écouter ses fans fait un flop.

Trop long, orienté, sans intérêt, telles étaient les premières critiques dès la sortie du sondage. Mais bien d'autres points peuvent être mis en avant, tant sur la méthode employée par le GPDA que sur les résultats qui nous ont été présentés récemment.
Tout n'est pas à jeter évidemment, mais la petite partie à sauver revient à récupérer une poêle alors que sa maison est en feu. Bref, peu judicieux sauf si on aime manger des crêpes.

Que pouvons nous garder de ce sondage ? Une telle question n'a pas de réponse facile. Et contrairement au GPDA, nous ne prendront pas le raccourci pour obtenir la réponse.

Premièrement, la méthodologie employée pour ce sondage est bancale sur bien des aspects. L'échantillon de répondants ne correspond à rien ou pas grand chose dans le nombre de personnes qui suivent la F1. Quand les chiffres d'audience télé de la F1 donnent le vertiges (450 millions de téléspectateurs), ceux du sondage semblent quelque peu plats (217 756 personnes ont répondu à ce sondage). Le sondage qui voulait toucher tous les fans, n’aura finalement touché qu’une infime partie de ceux-ci.
Mettons les chiffres en notre possession sous forme de pourcentage. Selon un document diffusé par la FIA elle-même, la F1 compte 450 millions téléspectateurs. Le pourcentage de personnes ayant répondu au sondage GPDA est de 0,05%... Même pas 0,1% des fans a répondu à ce sondage largement diffusé mais ce point, nous y reviendrons plus tard. L’échantillon représente 61% des répondants mais seulement 0,03% des téléspectateurs de la F1dans le monde. Comment 0,27% des fans peuvent-ils être utilisés comme élément représentatif ?

Les critères de l'échantillon volontaire utilisé pour le sondage (133 000 répondants) sont flous et peu ciblés car établies en fonction des régions et des centres d'intérêts des fans.
Regardons les cinq pays en tête de ce sondage. On trouve la Grande Bretagne devant la France (cocorico), les Etats-Unis, l’Autriche et l’Allemagne. Et comparons les avec les 5 pays comptant les plus grandes audiences annuels. En tête, le Brésil devant l’Italie, le Japon, l’Espagne et la Grande Bretagne.

Le Brésil, comptant à elle seule une audience de 79 millions, n’est que dixième pays des sondés. Anormal nous direz-vous ? Pas tant que ça au final. Ce critère géographique est d'autant plus aberrant qu'il peut être biaisé par le support utilisé. En effet, le site du sondage n'est ni un site officiel de la F1, ni le site du GPDA. Aurai-t-il été si compliqué d'ouvrir spécialement un site en partenariat avec la FOM et la FIA afin de ne pas dépendre d'un site privé ? Un tel site entraîne automatiquement une forme de confusion et de méfiance, ce qui réduit sa diffusion et donc touche moins la cible visée.

Un support mal choisi

Le sondage a été diffusé via le site Motorsport, dont l’expansion s’accentue depuis le début de cette année. Le site, présent dans quelques pays comme les Etats-Unis, les pays anglophones, les pays francophones, l’Espagne, le Portugal, l’Amérique Latine, la Russie et plus récemment l’Italie avec le rachat d’Omnicorse, a diffusé massivement le sondage. Cependant, on peut se poser la question suivante : est-ce seulement les lecteurs réguliers du site qui ont répondu à ce sondage ? Comment peut-on expliquer que le Brésil qui représente 17% des téléspectateurs soit si mal placé dans ce sondage ? C’est là où nous pouvons pointer du doigt la stratégie de communication du GPDA. Le GPDA, en s’alliant à un site populaire, a biaisé son sondage. L’Allemagne, qui n’est pas encore une plateforme d’informations pour le site internet fondé à Miami, figure bien dans le classement, de par son histoire et sa représentativité en F1 (Mercedes, Vettel, Rosberg entre autres) ce qui montre que la communication n’a pas été si mauvaise mais pourtant, elle l’a été, disons les choses telles quelles sont. Ce sondage, au final, représente une proportion importante de lecteurs du site internet et non de fans de F1.

Le GPDA aurait dû utiliser un autre support pour diffuser une enquête aussi importante, une première en plus dans l'histoire de la F1. A sa disposition, ce groupement de pilotes avait le site de la Formula One qui a connu un lifting important durant l’hiver mais aussi du site de la FIA, organe directeur du sport automobile dans le monde !

Et si l'on ajoute le fait que tous les fans n'ont pas forcément un accès à internet permanent, et/ou qu'ils ne s’intéressent à la F1 que les dimanches de GP, alors le choix du support devient de plus en plus aberrant. Car ce sondage fut non seulement lancé trop rapidement (ce qui nuit forcément à son contenu) mais il fut également ouvert que trop peu de temps au regard de l'importance que le GPDA souhaitait lui donner. Toute cette précipitation manque de sens. Un sondage ouvert plus longuement aurait permis de toucher plus de répondants potentiels via d'autres médias dont le plus traditionnel, la presse écrite. Cela aurait également permis d'éviter le sentiment d'urgence et donc de laisser plus de temps aux fans de réfléchir aux réponses qu'ils pourraient donner.

Les questions posées étaient évidemment orientées, comme dans tous les sondages. L'ordre des questions et l'ordre des réponses proposées étaient grossièrement manipulés, ce qui enlève le peu de crédibilité qu'il restait à ce sondage. Certains thèmes étaient trop important alors que d'autres ont à peine été évoquée, comme pour l'aspect technique et technologique de la F1.
La méthodologie a clairement entaché l'intérêt des réponses des fans. Vu la rapidité de diffusion des résultats, les réponses habilement sélectionnées sont dans la mouvance attendue en amont du sondage. Cependant, certains points, même si partiellement biaisés, méritent plus d'analyse.

Un panel réellement significatif ?

L’un des autres points intéressants du sondage GPDA concerne l’âge du panel. Si on en croit ce dernier, « plus de la moitié des fans de F1 sont âgés entre 25 et 44 ans, avec une moyenne de 37 ans ». Plus de la moitié est un bien petit mot puisque quasi les deux-tiers des fans sont dans cette tranche d’âge si l’on en croit le dossier présentée par le GPDA.
61% des fans ont entre 25 et 44 ans, 26% plus de 45 ans et 13% en dessous de 25 ans. Donc, le fan de F1 est en général un trentenaire ? Selon le GPDA, 75% des fans suivent la F1 que depuis une dizaine d’années, soit à la fin de l’apogée de Michael Schumacher chez Ferrari…

Voilà le constat à l'état brut, si on met ce résultat en parallèle avec les différentes études concernant les utilisateurs d’internet, le sondage y étant exclusivement disponible, les 25-44 ans représentent 47,1% des utilisateurs mondiaux de la Toile, ce qui correspond à quelque chose près aux résultats du sondage.

Mais un élément est frappant dans ce sondage, à une heure où on parle de « parité ». Quelle est la proportion de femmes qui ont répondu à ce sondage ? Que pensent-elles de la F1 ? Voilà clairement un point inexploré par le GPDA. Selon plusieurs statistiques, les femmes représentent environ 15% des fans de la F1. Donc, elles représentent environ 32 600 des votants. Mais leur opinion reste noyée dans celle des hommes. Mais qu’importe, les femmes en F1, ça ne sert qu’à jouer les Grid Girls non ?

Et les plus jeunes ? Ils représentent 13% de l’audience mondiale de la F1 et 26,5% des utilisateurs d’Internet. Mais leur avis est comme celui des femmes, noyé dans celui du reste des votants. On pourrait même dire qu’il est absent puisque nous n’avons aucune donnée sur le sujet, aucune indication. Comment ces jeunes fans ont-ils été intéressé par la F1 et pourquoi continuent-ils de regarder ? Voilà des questions qui auraient été bien plus pertinentes, tant l'intérêt de sondage était de mettre en avant les fans et leurs envies. Connaître ce qui plaît aux nouveaux fans qu'ils soient adolescents ou non, est tout aussi important que de savoir pourquoi les vieux fans ne sont pas contents, non ? Mais, cette jeune génération, qui ne connaît vraisemblablement la F1 depuis quelques années seulement, n’ayant pas connu des équipes comme Stewart, Tyrrell si ce n’est que par la suggestion de leur nom, a-t-elle assez de recul pour juger la F1 ?

Que ce soit l’un ou l’autre, leur avis semble donc indifférent par rapport à celui du fan lambda alors qu’aucune femme n’est en F1 depuis des décennies et que les jeunes arrivent en force sur la grille (cf Verstappen, le plus jeune pilote de l’histoire de la F1 sur une grille de départ). La F1 ne survivra pas longtemps sans l'afflux de nouveaux fans.

Bernie Ecclestone nous aurait menti en nous disant il y a quelques mois que « la F1 n’a pas besoin des jeunes fans », cette catégorie qui deviendra à l’avenir des vieux fans et la cible donc de marque comme « Rolex » ? Pourtant, cette deuxième catégorie est l’avenir de la F1, la future cible des sponsors. Avant d’être des vétérans, il faut passer un stade plus modeste. Malheureusement nous pouvons constater que le renouvellement des fans, l'introduction des nouveaux profils n'est pas le but premier de Bernie Ecclestone. Si pour lui la cible de la F1 doit être le mâle âgé et bedonnant portant une Rolex au poignée, il se trompe en tout point et emmène son audience vers le mur. Sans nouveaux fans, point de pérennité.

Il apparaît donc normal que les réponses présentées soient largement teintées de l'opinion de ces trentenaires vétérans de la F1. Une certaine cohérence transparaît de manière évidente entre certaines solutions et points plébiscités et la tranche d’âge surreprésentée. Ainsi, aucune « nouvelle équipe » ne fait pas partie du top des fans, pourtant elles sont les plus victorieuses ces dernières saisons. Les équipes dites « historiques » peu en réussite, trônent sur le podium. Aucun pilote apparu depuis l'après 2005 (correspondant aux 10 années minimums de suivi de la F1 par la tranche d'âge majoritaire) ne fait partie du podium des pilotes préférés. C'est d'autant plus intéressant que des 10 titres remportés depuis 2005, 6 ont été remportés par des pilotes ayant fait leur première apparition après 2005 (2007 pour les deux pilotes en question). Quand à Raïkkönen, Alonso et Button, les favoris des fans, ont tous les trois débuté à l'aube des années 2000. Ils sont aujourd'hui les pilotes les plus âgés du paddock et ceux présents depuis le plus longtemps. La majorité des fans met donc un certain temps à s'habituer à de nouveaux visages, tant concernant les pilotes que les équipes. De là à dire que ces fans vétérans ont du mal avec le changement, c'est peut-être un peu fort. La nostalgie des années de découverte de la F1 semble cependant les nourrir.

De la même manière que pour les équipes ou les pilotes, les vétérans ont une affection toute particulière pour les règles qui régissaient la F1 au temps de leur premier émoi. Que se soit la guerre des manufacturiers de pneu (80 % favorables à l'introduction d'un deuxième manufacturier de pneus) ou le ravitaillement en essence (60% favorables à son retour), les fans expriment là un retour à des choses qu'ils ont connus. Sans forcément d'ailleurs en comprendre qu'elles en seront les conséquences.

De contradictions en contradictions

Ce sondage fait également apparaître quelques contradictions dans les réponses des fans. Tout d'abord, en mettant en avant les années 2000, les fans oublient qu'elles étaient biens plus synonymes d'inactions en piste et dans la course aux titres qu'aujourd'hui (du moins concernant l'action en piste). D'ailleurs, seul 40% estiment que l'introduction du DRS a été bénéfique. Les années 2000 correspondent également à l'envolée des coûts en F1, ce qui est en contradiction totale avec la demande des fans de budgets capés. De la même manière, vouloir plus de liberté technologique va dans le sens du développement de la compétition et de la quête d'excellence, mais ne s'accorde pas avec l'idée d'une restriction budgétaire. Le développement sur la saison a un coût, souvent très élevé.

Plus superficiellement, enfin, les fans attendent des pilotes qu'ils soient plus disponibles et plus actifs dans leur sport, mais paradoxalement, ils plébiscitent le pilote certainement le moins enclin à ce genre de choses, le finlandais Raïkkönen.
Ces contradictions sont gênantes, mais font peut-être apparaître un point important : la F1 est très complexe, et ses fans, s'ils savent clairement ce qu'ils veulent (plus de compétition, un plateau plus resserré), ne savent pas réellement comment l'obtenir.

La rapidité de publication des résultats du sondage est frustrante car certains points évoqués dans le questionnaire n'apparaissent pas dans les différents éléments présentés. Il aurait été intéressant de connaître les réponses aux questions concernant les GP : pourquoi les fans n'y assistent pas, quels sont ceux qu'ils considèrent comme important. Si 25% des sondés ont assisté à un GP ces 12 derniers mois, les raisons des 75% restant semblent plus intéressantes non ?

Le traitement partiel des réponses montre surtout que la précipitation du sondage nuit à son intérêt. Il faudrait une analyse plus approfondie des réponses, permettant d'apprendre un peu plus sur la désertification des fans. Car le but de ce sondage était bien de connaître ses fans, et leur vision de la F1, non ?
La vision de la F1 pour ces fans vétérans est une presque copie parfaite des années 2000. Mais est-ce la solution ? Il y a eu, suite aux propositions du Strategy Group, un gros débat autour de la réintroduction d'un second manufacturier de pneus et des ravitaillements en essence. Est-ce que ces deux propositions avancées n'ont pas été influencées par justement ces débats antérieurs au sondage ? Est-ce qu'ils sont réellement des solutions pour accentuer le spectacle et retrouver une F1 plus « pure » ?

Des idées reçues

On ne peut nier que le brouhaha médiatique sur ces deux points ont forcément fait réfléchir sur la question. Et à défaut d'autres propositions, ces solutions « connues » sont rassurantes et paraîtraient même logiques pour qui suit la F1 depuis une décennie.

Si l'on applique ces même règles, il est fort à parier que les conséquences seront les mêmes qu'avant leur suppression. La « guerre des pneus » comme l'aiment à l'appeler les journalistes et les fans, entraîne une principale conséquence qui est toute simple et tellement logique : un manufacturier plus performant que l'autre et de grosses différences entre les équipes chaussées de l'un et celles de l'autre. Le deuxième point serait l'augmentation des coûts, en contradiction avec la volonté des fans de les réduire. Le troisième point serait que les équipes principales ou partenaires auraient un développement aux petits oignons alors que les équipes de deuxième partie de grille et au-delà auraient alors des pneus moins adaptés. Bref, toutes les équipes ne seraient pas logées à la même enseigne.

Les ravitaillements en essence quant à eux, ont été supprimés par soucis de sécurité et pour raison de coûts. La suppression des ravitaillements avait par ailleurs permis une augmentation des dépassements en piste.

Ces deux solutions, en plus d'aller à l'encontre de la volonté de réduire les dépenses, vont probablement à l'encontre de l'envie des fans de voir plus d'action en piste.

Mais alors pourquoi les fans sont-ils si favorables à de telles mesures ? Pourquoi sont-ils aussi critiques de la F1 de 2015 ? L'influence des médias est à prendre en compte évidemment. Cela étant dit, la tendance « journalistique » actuelle est de vendre aux lecteurs ce qu'ils ont envie de lire. Le journaliste F1 entretient la critique du fan vétéran, et ce dernier entretien le feu du journaliste F1, un cercle vicieux. Le sensationnalisme touche la F1 également, mais cela n'aide pas ni à comprendre le sport, ni à l'analyser au mieux pour le faire évoluer convenablement. La F1 actuelle n'attire que peu de nouveaux fans, et la volonté de retours en arrière perpétuels ne va pas aider à inverser la tendance.

S'il y a une chose à retenir de ce sondage est que les fans de F1, s'ils savent précisément quelles performances ils ont envie de voir, ne savent finalement pas comment l'obtenir. Leur opinion, aussi importante soit-elle (un sport ne peut vivre sans fans), ne devrait pas être le moteur du changement.