Une des attractions de la saison 2019 était sans conteste le retour de Robert Kubica. Le polonais toucha au but, huit ans après que son accident de rallye ait interrompu sa carrière en Formule 1. Retrouvera t-il son niveau d'antan ? A moins que les dommages causés à son bras soient insurmontables ? Beaucoup citent en exemples les comebacks de Mika Häkkinen ou Niki Lauda mais un autre cas souvent oublié mérite un retour.

Revenir à la compétition après un accident susceptible de conclure prématurément une carrière n'est pas une première en Formule 1. La chaîne Youtube officielle du championnat s'est chargée de le rappeler en citant dans une de ses vidéos dix des meilleurs exemples, incluant Kubica. De Johnny Herbert à Felipe Massa en passant par Michael Schumacher, Mika Häkkinen et bien entendu Niki Lauda, il y a de quoi nourrir espoir pour les fans du polonais et le public friand d'un happy ending.

Jean-Pierre Beltoise, une carrière à bout de bras

Bien entendu, la liste n'était pas exhaustive. On pouvait évoquer Graham Hill et son accident de Watkins Glen 1969 qui lui brisa les deux jambes. A 40 ans passés, il semblait temps de passer la main. En guise de réponse, le père de Damon marqua un point pour son retour début 1970. Et s'appropria la Triple Couronne avec les 24 Heures du Mans en 1972.

Quand bien même il ne retrouva plus jamais son niveau d'antan. D'ailleurs plusieurs pilotes cités dans la liste susnommée ont gardé des séquelles. Martin Brundle comme Johnny Herbert ont perdu en sensibilité dans leurs pieds les plus touchés, les empêchant de leur propre aveu d'aller aussi vite qu'avant leur crash respectif et de connaître une plus belle carrière.

Reste cela dit un autre pilote dont le comeback est susceptible d'inspirer un peu plus Robert Kubica : Jean-Pierre Beltoise.

Porte-étendard

Avant tout, il convient de rappeler brièvement la carrière du pilote français, hélas décédé début 2015. Celui-ci a incarné, ni plus ni moins, à la fin des années 1960, le retour de la France au plus haut niveau en Formule 1 après des années de disette. Si Jackie Stewart remporta le titre 1969 pour Matra et si François Cevert devint le premier vainqueur tricolore depuis Maurice Trintignant, c'est Beltoise qui posa les bases.

C'est lui qui imposa Matra en F3 en 1965 en lever de rideau du Grand Prix de France et qui accompagna le fabricant aérospatial (entre autres activités) jusqu'en Formule 1. Après quelques apparitions anecdotiques courant 1967, Beltoise marqua un point début 1968 à Kyalami sur une Matra F2, puis mena le Grand Prix d'Espagne (+ le meilleur tour) pour la première apparition du modèle F1 ! Une année après, ses points cumulés à ceux de Stewart offrirent le titre constructeur à Matra.

Hélas, la décision de l'entreprise de se séparer de Cosworth pour mieux promouvoir son V12 fut autant un ravissement pour les oreilles du profane qu'une désillusion pour Beltoise. Jamais plus il ne retrouva les performances de la fameuse MS80, à l'homogénéité exemplaire. Quelques podiums par-ci par-là en 1970, un seul point en 1971 (et suspendu quelques mois pour son implication dans l'accident mortel d'Ignazio Giunti dans une épreuve d'Endurance) pour finalement migrer vers BRM en 1972 et enfin remporter une course à Monaco – nous y reviendrons.

Il acheva sa carrière en F1 fin 1974 avec l'équipe britannique, en pleine chute une fois Marlboro parti chez McLaren. Notons que Beltoise devait contribuer à l'arrivée d'une autre marque française mythique, à savoir Ligier en 1976. Le patron Guy lui préféra Jacques Laffite.

Et tout cela avec un seul bras. Ou presque.

"Camembert, mes tracteurs !"

Car oui, Beltoise courut l'essentiel de sa carrière handicapé. Ceci faisait suite à un grave accident aux prémices de sa carrière, aux 12 Heures de Reims 1964. En dérapant sur une flaque d'huile, Jean-Pierre fut éjecté de son véhicule lui même parti en flammes. Son bras gauche échappa de peu à l'amputation mais l'articulation de son coude quant à elle ne pouvait être sauvée. Quitte à être paralysé, Beltoise exigea de bloquer le membre blessé dans un angle précis, de façon à ce que l'avant-bras puisse accéder au volant et le tenir.

En revanche, toute pression pour le tourner et corriger quelque dérapage que ce soit n'allait provenir que du côté droit. Comme pour les Herbert, Hill, Brundle et autres Lauda, on considérait sa carrière prématurément achevée. Et là aussi, le pilote sut confondre ses détracteurs.

Un an après l'accident, il revenait sur les lieux du drame et remportait la course en Formule 3 avec Matra, qui l'avait recruté contre vents et marrées. Un succès à la portée d'autant plus symbolique que le héros de Beltoise, Jean Behra, avait remporté une victoire magistrale sur Gordini en 1952 ici-même – hélas hors-championnat.

Comme évoqué plus tôt, Beltoise ne s'arrêta pas là. Il finit champion de France de la discipline, puis devint champion de Formule 2 en 1968, la même année où il offrit les premiers points et trophées à Matra. Et l'équipe de devenir championne en 1969 pour sa deuxième saison complète seulement.

Ce succès fulgurant marquait ainsi le retour de la France sur la scène internationale en monoplace. Il prouvait qu'on pouvait non seulement compter sur Beltoise mais aussi sur une marque qui n'avait jamais touché à une automobile au début de la décennie. Et par association, compter sur la France. Puis suivirent, Cevert, Laffite, Depailler et consorts, jusqu'aux triomphes d'Alain Prost.

Les ailes coupées

Certes, la chute toute aussi brutale de Matra au commencement des seventies empêcha Beltoise de concrétiser davantage. Aussi, François Cevert devint à la fois le poulain de Stewart une fois Tyrrell constructeur et le nouveau chouchou du grand public. Beltoise passa au second plan, sportif comme médiatique, quand bien même il conserva un lien de filiation avec Cevert, ayant épousé sa sœur Jacqueline.

Il devait aussi composer avec une nouvelle difficulté, héritée de l'évolution des Formule 1. Les ailerons, une fois la version haut perchée bannie en 1969, devinrent une composante incontournable des monoplaces. Plus adhérentes et plus difficiles à piloter, elles nécessitaient une plus grande force dans les bras pour les mener à bon port, pénalisant de ce fait Beltoise qui ne pouvait compter que sur un bras. L'élargissement des pneumatiques qui survint à peu près au même moment eut le même effet.

Pourtant, c'est au moment où on l'attendait le moins que Beltoise brilla à nouveau, offrant une démonstration éblouissante d'adresse, qui, à l'image de son combat contre son handicap, s'avère trop peu évoquée. Et l'ironie veut que le dit handicap se soit transformé, ce jour-là, en avantage.

Chat échaudé qui ne craint pas l'eau froide

Beltoise s'est souvent distingué sur le mouillé. Ce n'était pas le fruit du hasard. Déjà, il fallait piloter plus en souplesse, diminuant la pression exigée par temps sec. Mais surtout, à force d'avoir compté sur un seul bras, Beltoise avait d'autant plus amélioré la sensibilité de celui-ci, lui conférant « la délicatesse d'un chat prêt à bondir », à en croire son ami Johnny Rives.

Ce qui était un avantage essentiel sur piste humide. Il le prouva notamment à Zandvoort en 1968 où il remonta de très belle façon jusqu'à la deuxième place, seul à finir dans le même tour que son leader Stewart. Et il fit encore mieux quatre ans après à Monaco.

Partant quatrième, il prit un départ canon et s'infiltra en tête dès son premier passage à Sainte-Devote. Il n'allait plus lâcher le commandement de toute l'épreuve et mettre tous les pilotes, excepté Jacky « Rainmaster » Ickx, à un tour et plus. Il conserva le cap sous une pluie torrentielle qui aurait causé l'arrêt immédiat d'une course en 2019 et durant deux heures et demi, ininterrompues celles-ci.

Pire (ou mieux) encore, dix-huit monoplaces parvinrent à rejoindre l'arrivée. Autrement dit, Beltoise eut pas moins de 80 dépassements à effectuer à force de rejoindre des retardataires ! Ceci à Monaco avec son étroitesse légendaire, à une époque où on commençait à peine à prendre conscience du danger omniprésent et à mieux sécuriser les environs. Ajoutons à cela une une BRM au moteur brutal peu adapté à la Principauté et qui ne valait clairement pas cette position. D'ailleurs, il ne marqua pas le moindre point du reste de la saison !

Le tout toujours avec un seul bras en pleine capacité.

Héritage en cours

Ce sera hélas son dernier vrai fait d'arme, ainsi que de son équipe qui signait là sa dernière victoire. Beltoise déplora d'ailleurs que son patron Louis Stanley conserva le trophée du pilote ! Il lutta pour le podium à Mosport en 1973 – aidé en partie par la première intervention de la Safety Car qui se plaça devant le mauvais leader ! – avant d'y monter une dernière fois à Kyalami en 1974. Si BRM n'allait pas tarder à couler, Beltoise quitta surtout la F1 histoire de ne pas y laisser sa peau comme son beau-frère François Cevert, entre autres.

Heureusement, d'autres représentants tricolores commençaient à égayer les courses : Patrick Depailler prit la place de Cevert chez Tyrrell, Jacques Laffite et Jean-Pierre Jabouille faisaient leurs gammes, en attendant Didier Pironi, René Arnoux, Patrick Tambay et compagnie.

Relancer l'élan français automobile et remporter une course avec un bras : nul doute que Jean-Pierre Beltoise mérite une meilleure reconnaissance.