Jean Todt a accordé une interview au journal italien La Repubblica dans laquelle il revient sur ses premiers jours chez Ferrari. Il évoque aussi son ami, Michael Schumacher.

Ancien directeur de la Scuderia Ferrari, puis président de la FIA, Jean Todt file vers ses 79 printemps à la fin du mois de février. Il s'est entretenu avec La Repubblica pour évoquer différents chapitres de sa vie.

Todt respectera le choix de la famille Schumacher

S'il y a bien une question sur laquelle les journalistes aiment insister, c'est l'état de santé de Michael Schumacher. Et la réponse est toujours la même du côté de la famille du septuple champion du monde, y compris Jean Todt qui est devenu un ami de la famille. "La famille a choisi de ne pas répondre à cette question. Je respecte ce choix. Je le vois régulièrement avec beaucoup d’affection, lui et ses proches. Notre lien dépasse notre passé professionnel. Il fait partie de ma vie, qui est aujourd’hui bien éloignée de la Formule 1."

Jean Todt fut l'un des artisans de la belle époque de la Scuderia Ferrari, qualifiée de Dream Team avec Michael Schumacher, Ross Brawn et Rory Byrne. Une épopée formidable qui pourtant n'avait pas si bien commencé à l'été 1993. Pourquoi était-il donc mal perçu par les Tifosi, lui demande le journaliste italien.

"Ils pensaient qu’en tant que Français, je ne comprenais rien à l’Italie, que j’étais là pour prendre de l’argent et partir. Quand je suis arrivé en 1993, j’ai trouvé un château en ruines, il n’y avait rien. Le département design était en Angleterre, et la soufflerie à l’usine était vétuste et inutilisable. J’ai réuni tout le monde, je ne connaissais aucun des 300 employés d’alors, et mon italien se limitait à remplacer un ‘A’ ou un ‘O’ aux mots français.

Mais peu à peu, nous avons construit un bijou : en 1996, Michael est arrivé, puis Ross Brawn, Rory Byrne, Aldo Costa, Paolo Martinelli, Gilles Simon. J’ai dit : 'ma porte sera toujours ouverte'. Je les ai poussés à travailler davantage, même la nuit. J’allais les voir avec des croissants, je n’attendais pas les développements chez moi en me distrayant avec l’art."

Pour autant, si l'élément déclencheur du succès de Ferrari est venu de la constitution de cette équipe de rêve, Jean Todt ne se considère pas comme le seul artisan de cette réussite.

"Non, seul je n’aurais rien fait. J’ai su former et maintenir une équipe soudée pendant des années, créant un véritable dream team. Les 14 championnats remportés sont inscrits dans l’histoire, c’est la période la plus fructueuse de Ferrari. Mon passé en Italie ne se résume pas à Michael, même s’il était une pièce essentielle du puzzle, la plus visible. Il avait un talent unique, mais aussi une équipe exceptionnelle, ce qui est fondamental en sport automobile, comme dans d’autres disciplines. En tennis aussi, mais un Sinner doit se débrouiller seul pour renvoyer la balle."

© Ferrari Spa

De toute son expérience au sein de la Scuderia Ferrari, existe-il un souvenir plus marquant et plus beau qu'un autre ? Jean Todt arrive a en démarquer un !

"Suzuka 2004, un aboutissement pour lequel nous avons tant souffert et auquel j’ai consacré tant d’énergie, d’âme, de cœur et de passion. J’ai ressenti la même joie que pour l’Oscar de ma femme, devenue un symbole des femmes, de l’Asie et de la diversité. Aujourd’hui, elle s’investit sur de nombreux fronts et est membre du CIO.

C’était un long chemin, mais elle l’a mérité, tout comme nous à Ferrari après tant de championnats perdus de peu, y compris celui marqué par le scandale de Singapour en 2008. Si nous avons fini par gagner, c’est aussi grâce à Montezemolo, qui croyait en nous et nous a laissés travailler avec courage. L’erreur aurait été de tout recommencer à zéro."

Ayant quitté le monde de la F1, que pense le Jean Todt spectateur de la F1 d'aujourd'hui ? Arrive-t-il à percevoir une équipe Ferrari semblable à celle qu'il a connue à son époque ?

"En tant que spectateur, je n’ai pas les éléments pour juger. Je ne suis même pas curieux de savoir ce qui se passe en interne, et je n’en parle même pas avec mon fils. Quand je suis parti en 2009 avec Domenicali à la tête des courses, l’équipe était en place et l’est toujours, même si elle n’a pas encore retrouvé le niveau pour les titres. Pourtant, ils s’en sont approchés avec Alonso, Vettel et Leclerc. Tout est encore là pour gagner, il ne manque pas grand-chose.

Le duo Leclerc-Sainz a été très bon, personne ne peut dire qu’ils ont perdu à cause des pilotes. Concernant le duo Leclerc-Hamilton, il n’y a pas grand-chose à dire non plus, il est tout aussi performant. Est-il meilleur que le précédent ? Je n’en ai aucune idée, tout comme je ne peux pas prédire si 2025 sera une année favorable. Ce sera le niveau de la voiture qui nous le dira."

Et cette nouvelle association entre Leclerc et Hamilton, Jean Todt le voit comme une chance pour le Monégasque plutôt qu'une énième barrière pour aller décrocher le titre mondial. D'ailleurs, le pilote qui a la préférence de Jean Todt, c'est Charles Leclerc.

"Pour moi, c’est au contraire une opportunité. La même que Russell avec Hamilton. Tous les pilotes veulent battre leur coéquipier. Mon pilote préféré est Charles Leclerc. Aujourd’hui, Verstappen est le meilleur en piste. Quant aux héritiers de Michael Schumacher, Vettel, Hamilton, Verstappen. Mais Michael est un frère, un ami, c’est différent. Certains pilotes ont marqué l’histoire, et il en fait partie. Que m’a-t-il appris ? L’humilité. Il semblait arrogant, mais il était en réalité très timide et se protégeait. Il voulait une vie normale, aller chercher ses enfants à l’école, ce qu’il faisait."

Et qu'en est-il du fils de Michael Schumacher, Mick. Ce dernier a eu l'occasion de montrer ses capacités en F1, mais peut-être dans une équipe dans laquelle il ne le considérait pas totalement. On ne peut pas dire que Haas ait construit un environnement comme la Scuderia Ferrari des années 90 pour aider à s'épanouir un pilote, la dynamique n'était pas non plus la même qu'à Maranello.

"Je pense que Mick n’a pas été bien traité par la F1. Il a piloté une Haas non compétitive, même s’il a eu quelques accidents coûteux pour l’équipe. Pourtant, il a fini devant son coéquipier. Ils l’ont écarté pour leurs propres raisons, sans lui donner une autre chance qu’il méritait selon moi. C’est injuste.

A-t-il souffert d'être le fils de Michael ? Ça ne lui a apporté aucun avantage. Pourtant, il a gagné en F3, en F2, puis a piloté une mauvaise voiture en F1 sans jamais avoir une bonne opportunité. Bien sûr, il m’a demandé des conseils, et si j’avais pu, je l’aurais aidé davantage. Mais la F1 n’est plus mon centre de gravité, même si je ne rate jamais un Grand Prix ni d’autres courses de différentes catégories."

The Scala theatre in Milan - Michael Schumacher, Jean Todt, President Luca di Montezemolo, Piero Ferrari

© Ferrari Spa