Il y a 30 ans, Mazda remportait les 24 Heures du Mans avec la mythique 787B. Voici une édition de la classique Mancelle qui a marqué la grande histoire de l'Endurance.

Cette 59ème édition a aussi marqué un pas vers la modernité pour les 24 Heures du Mans : le circuit fait table rase des infrastructures datant de 1956 avec la construction du bâtiment que l'on connaît aujourd'hui abritant de vastes stands, les loges, une large tribune...

24 Heures du Mans 91, dans l'histoire !

Le règlement et les forces en présence

La FIA a sifflé la fin de partie pour les Groupe C au profit des Sport 3.5. Le Championnat du Monde d'Endurance a une triste allure avec 7 courses de moins de 3 heures et 1 course de 24 heures ! D'ailleurs les 24 Heures du Mans sont de retour après 2 ans d'absence au calendrier mondial... Henri Pescarolo a même tenu des propos durs envers la FIA et certains directeurs d'équipe (Jean Todt était visé...) en leur reprochant d'avoir voulu faire une "F1 bis".

Nissan et Toyota ont fui à l'annonce de ce règlement, Porsche, constructeur emblématique de l'Endurance n'a pas de remplaçante pour sa 962... Pire, ces Sport 3.5 sont bien trop chères pour des petits constructeurs où pour des équipes privées qui de tout temps ont garni les grilles des courses d'endurance (il faut rendre à César ce qui appartient à César...) !

Mais 2 ans après avoir annoncé la création du championnat Silhouette (sic), Jean-Marie Balestre annonce que 26 voitures seront présentes à plein temps en championnat et que 17 motoristes sont intéressés par cette règlementation 3.5. Une annonce qui laisse les observateurs pour le moins dubitatifs... En tout cas avec seulement 38 voitures au départ, c'est le plateau le plus faible depuis 1933 !

Et parmi les grands constructeurs seuls, Mercedes, Jaguar et Peugeot engagent des Sport 3.5, tandis que Spice, ALD et Roc ont tout de même réussi à construire quelques voitures. Les anciennes Groupe C sont alourdies de 100kg et se voient imposer une limite de consommation drastique.

© Silk Cut Jaguar - Tom Walkinshaw Racing #35 - Davy Jones / Raul Boesel / Michel Ferté

Les Jaguar sont les tenantes du titre et le constructeur britannique a engagé pas moins de 4 Jaguar XJR-12 ! Une seule Jaguar XJR-14 est engagée et nous verrons dans quelques lignes pourquoi elle ne participera pas à la course... Même stratégie chez Mercedes avec 3 "anciennes" Sauber-Mercedes C11 et une C291.

Puis 2 Peugeot 905 sont engagées pour leurs premières 24 Heures du Mans, les équipages sont solides : Philippe Alliot/Mauro Baldi/Jean-Pierre Jabouille et Keke Rosberg/Yannick Dalmas/Pierre-Henri Raphanel. Encore trop tendres, on ne visait pas l'arrivée dans le clan tricolore mais plutôt de belles performances en début de course...

© Peugeot Talbot Sport - Peugeot 905 SA35 V10 3,5l

Du côté des concurrents n'engageant aucune Sport 3.5, on retrouvait les autres anciennes Groupe C.  Pas moins de 14 Porsche 962C privées étaient présentes avec des teams de qualités : Kremer, Repsol Brun Motorsport, Konrad Motorsport où encore le Team Salamin Primagaz ! Et enfin on retrouvait 2 Mazda 787B et une Mazda 787.

Pour 1992, les moteurs à pistons rotatifs seront interdits, donc c'est la dernière cartouche pour le constructeur japonais qui vise plutôt un podium. L'équipage phare des japonais est le trio déjà associé en 1990 : Volker Weidler, Johnny Herbert et Bertrand Gachot sur la numéro 55 ! Les Mazda étaient néanmoins un peu moins alourdies que leurs adversaires.

Qualifications

Les spectateurs ne verront la Jaguar XJR-14 que sur les affiches où aux essais !

Petite particularité : les 10 premières places sur la grille seront allouées aux voitures de la catégorie Sport 3.5, une exigence de la FIA. La pole devrait donc se jouer entre la Jaguar XJR-14, la Sauber-Mercedes C291 et les 2 Peugeot 905 ! Surprise, la Sauber-Mercedes est retirée dès les essais par le constructeur de Stuttgart.

Chez TWR, on annonce clairement la couleur : la Jaguar XJR-14 ne partira en pole que si elle signe réellement la pole. Geste élégant où pas l'envie de faire rouler une voiture qui ne s'annonce pas assez fiable pour terminer la course ?

Toujours est-il que c'est bel et bien ce diable de Jean-Louis Schlesser qui signe la pole (il avait déjà signé la pole en 1989) sur la Sauber-Mercedes C11 #1 en 3'31"250 ! La Jaguar XJR-14 échoue à 6 dixièmes et est donc retirée par Tom Walkinshaw. Grâce à la magie du règlement, ce sont donc les Peugeot 905 qui s'élanceront en première ligne tandis que la Mercedes #1 qui a été la plus rapide partira en 6ème ligne...

Si cette première ligne Peugeot a de quoi ravir le constructeur Sochalien (un joli succès télévisuel) et ses supporters, le passionné averti est le dindon de la farce dans cette affaire... Schlesser s'élancera notamment derrière une Spice ayant été 35" plus lente aux essais !

La course

Tandis que Jean-Louis Schlesser s'offre un dangereux slalom en début de course pour retrouver les devants, les Peugeot 905 brillent et sont en tête dans cette première heure de course. Mais dans la précipitation du premier arrêt, le carburant dégoulinera sur les échappements et la #5 sera enveloppée un bref instant par les flammes ! L'incendie est vite maîtrisé mais la Peugeot #5 allait définitivement s'arrêter à 18h20 et inaugurer la liste des abandons...

Après ce début de course tonitruant des Peugeot, ce sont les Mercedes qui prennent la course à leur compte avec tout d'abord la #32 du trio des jeunes loups : Karl Wendlinger, Michael Schumacher et Fritz Kreutzpointer. C'est ensuite la #1 de Jean-Louis Schlesser, Jochen Mass et Alain Ferté qui prend les devants après 6 heures de course. La course de la seconde Peugeot s'arrête peu après, boite bloquée, course terminée pour la marque au lion, mais les débuts dans la Sarthe ont été prometteurs.

© Team Sauber Mercedes #1 - Jean-Louis Schlesser / Jochen Mass / Alain Ferté

Au quart de la course ce sont donc les 3 Mercedes qui sont en tête devant la Mazda #55 déjà reléguée à 2 tours. Mais la course est loin d'être tranquille, l'embonpoint imposé aux anciennes Groupe C n'est pas sans conséquences sur les mécaniques et sur le comportement des autos en piste. Chez Mazda et Jaguar, c'est une course d'attente tant les Mercedes sont supérieures, d'ailleurs Michael Schumacher signe le meilleur tour en course en 3'35"564 !

La Mercedes #1 caracole en tête mais l'hégémonie de la marque à l'étoile se brise peu après minuit : la #32 s'arrête plusieurs fois et chute de la 3ème à la 11ème place. Cette première alerte ne trouble pas la marche en avant de la #1 et de la #31 qui creusent toujours l'écart en tête, la Mazda #55 et la Jaguar #35 bataillant pour la troisième place.

© Repsol Brun Motorsport - Porsche 962C - Oscar Larrauri / Jésus Pareja / Walter Brun

Mais à 04h45, Karl Wendlinger rentre au stand pour faire démonter la boîte de vitesse de Mercedes #31... 12 minutes sont perdues et la Mercedes #1 est désormais seule en tête devant la Mazda #55 et la Jaguar #35 déjà reléguées à 4 tours !

Faux pas interdit donc pour Mercedes, chez Mazda on se contenterait bien d'une médaille d'argent inespérée et encore jamais atteinte par une voiture japonaise au Mans... Mais à 12h53 c'est l'heure de l'exécution pour la marque à l'étoile : inaccessible jusqu'alors, le V8 Turbo de la Mercedes #1 surchauffe... Alain Ferté rentre au stand, plus de 30 minutes de travail pour les mécaniciens, le français repart mais il s'arrête de nouveau, course terminée !

La Mazda #55 se retrouve donc en tête à 13h08 avec presque 2 tours d'avance sur les Jaguar ! Au Japon, c'est l'effervescence, les chaînes de télévision interrompent leurs programmes pour diffuser ce moment historique !

A 16h00, Johnny Herbert franchit la ligne d'arrivée au volant de la Mazda 787B #55 ! Et rien ne se passe comme prévu, le britannique, épuisé et déshydraté s'effondre aussitôt l'arrivée franchie et seuls Volker Weidler et Bertrand Gachot grimperont sur le podium !

Ils seront rejoints par l'équipage de la Jaguar #35 : Raul Boesel, Davy Jones et Michel Ferté. Puis par celui de la Jaguar #34 : Bob Wollek, Teo Fabi et Kenny Acheson. Les Jaguar s'en sortent plutôt bien car n'ont pas été performantes au cours de cette édition. Une autre Jaguar termine 4ème, la #33 tandis qu'une seule Mercedes franchit l'arrivée : la #31 de Schumacher/Kreutzpointer/Wendlinger. Seulement 12 concurrents voient le drapeau à damier.

Destins Croisés

Pour Bertrand Gachot, cette victoire a été le sommet de sa carrière. Il comptait beaucoup sur le Grand Prix de Belgique 1991 pour réaliser une belle performance... Malheureusement une altercation et une justice britannique ultra sévère lui feront manquer la manche Spadoise. Eddie Jordan, en quête d'un remplaçant prendra un jeune qui s'est distingué lors de cette 59ème édition des 24 Heures du Mans : Michael Schumacher. Et l'allemand sera époustouflant pour ses débuts en F1, le malheur des uns faisant le bonheur des autres.

Johnny Herbert a connu ensuite une belle carrière ponctuée par 3 victoires en F1, 1 victoire aux 12 Heures de Sebring où encore 3 secondes places aux 24 Heures du Mans avec Audi et Bentley au début des années 2000.

Volker Weidler se disait enchanté par le son de la Mazda 787B, malgré les avertissements de ses coéquipiers il pilotait sans protection auditive... Malheureusement il aura ensuite des acouphènes et les complications que cela entraine. Le pilote allemand disparaitra malheureusement des radars à la fin de la saison 1992.

Mazda est resté pendant longtemps le seul constructeur japonais vainqueur au Mans, ils ont été rejoint par Toyota en 2018. On espère revoir Nissan tenter sa chance avec un projet sérieux (pas le projet fumeux de 2015...).

Galerie photo - Mazda / 24 Heures du Mans 1991