La W Series, nouvelle série pour femmes pilotes lancée mercredi 10 octobre, fait grandement débat. Entre les fans du sport auto mais aussi entre ses acteurs, les arguments s'échangent.

La présence des femmes dans le sport auto, en tant que pilote d'abord, mais également dans tous ses domaines, est un sujet de débat. Et toutes les idées qui en ressortent ne sont pas forcément bonnes. Il y a quelques temps, la FIA lançait un programme d'évaluation des femmes pilotes. Aujourd'hui, une série réservée aux femmes est créée.

Cette nouvelle série doit permettre d'ouvrir des opportunités aux femmes pilotes d'intégrer ensuite les autres séries habituelles de la FIA. Mais si l'idée n'est pas nouvelle, on remercie notamment Bernie Ecclestone qui en parlait beaucoup, son application est elle une nouveauté.

Cette série est soutenue par quelques femmes pilotes, telles que Jamie Chadwick, Tatiana Calderón, Alice Powell, et sans nulle doute, Carmen Jorda qui avançait cette même idée il y a quelques temps. Elle est également soutenue par quelques journalistes importants du sport auto. Tous avancent l'idée de faire quelque chose en faveur des femmes, qu'il faut laisser une chance à cette W Series d'exister.

« Triste jour » pour le sport auto

Mais d'autres s'y opposent. C'est le cas de Pippa Mann qui n'a pas tardé à réagir via Twitter. La pilote anglaise qui compte une victoire en Indy Lights à son actif, a exprimé son mécontentement à cette annonce. Dans une série de tweets, elle explique être déçue de voir cette série être créée.

« Quel triste jour pour le sport automobile. Ceux qui ont des fonds pour aider les femmes pilotes choisissent de les séparer plutôt que de les soutenir. Je suis profondément déçu de voir un tel pas en arrière historique se produire au cours de ma vie » explique-t-elle.

« J'ai écrit un papier l'année dernière lorsque cette série m'a contactée, essayant de profiter du fait que je n'ai pas les fonds nécessaires pour concourir à temps plein sans eux. Je maintiens tout ce que j'ai dit. Malheureusement, le #HandmaidsRacingSeries vit maintenant » dit-elle en référence à la série à succès The Handmaid's Tale.

« Un autre tweet à ce sujet. Pour mémoire, je soutiens celles qui se sentent obligées de participer à cela comme leur seule opportunité de courir. Je m'oppose à ceux qui forcent les pilotes susmentionnées à se placer dans cette position comme étant leur seule solution pour trouver le financement nécessaire pour courir » conclut-elle.

Un argument de poids avancé par Pippa Mann. Fautes de solutions alternatives, les femmes pilotes doivent participer à ça pour continuer de piloter ? Elle soulève un lièvre sur le manque de moyens des femmes pilotes. Un problème que les hommes connaissent également, mais qui semble frapper toutes les femmes pilotes de manière systématique.

Une ségrégation basée sur le genre

Charlie Martin, pilote britannique ne mâche pas ses mots face à cette nouvelle. Elle avance le terme de ségrégation, employé par beaucoup de détracteurs de la série. La pilote commence son tweet en rappelant qu'elle soutient les femmes pilotes mais qu'il ne s'agit là que d'une ségrégation envers les femmes. Puis, dans une image ajoutée à son tweet, elle explique ce propos.

« Je soutiens les initiatives conçues pour encourager les femmes à arriver en F1 mais je ne pense pas que la ségrégation soit la solution - l’égalité est l’objectif que nous défendons #WeRaceAsEquals »

« Cette série est fondée sur la ségrégation et, même si elle peut créer des opportunités pour quelques femmes pilotes, cela envoie un message clair que la ségrégation est acceptable. Dans ce sport nous ne faisons plus de discrimination basée sur la race, donc c'est particulièrement contradictoire que nous trouvions acceptable de le faire en fonction du genre en 2018.

En tant que pilote, nous voulons courir contre les meilleurs pilotes – sans tenir compte de l'âge, de la race, de l'orientation sexuelle ou du genre – et prouver que nous sommes les meilleurs dans ce que nous faisons ».

Une mauvaise façon de faire les choses

Sophia Floersh exprime également sa désapprobation. Pilote Van Amersfoort Racing en FIA F3, la pilote de 17 ans a été la première femme pilote à remporter des points dans le championnat allemand de F4. Elle est également le plus jeune pilote à avoir remporté une course dans le championnat Ginetta junior. L'allemande aussi estime que cette série est une mauvaise idée. Une mauvaise façon de résoudre le manque de présence des femmes pilotes dans les différentes catégories du sport auto.

« Je suis d'accord avec les arguments - mais [je suis] totalement en désaccord avec la solution. Les femmes ont besoin d'un soutien à long terme et de partenaires confiants. Je veux rivaliser avec le meilleur de notre sport. Comparez-le avec les données économiques: Avons-nous besoin d'un management / comité consultatif distincts? Non. Mauvaise façon ».

Une opinion soutenue par beaucoup de fans, hommes ou femmes, sur les différents réseaux sociaux. L'argument principal allant à l'encontre de cette série est simplement l'idée de séparer les hommes des femmes. Comment permettre aux femmes pilotes d'intégrer les séries monoplaces si pour cela, elles sont mises de cotés pendant le processus de progression ? Ces femmes peuvent et doivent rouler dans les séries existantes avec les hommes. Elles n'ont pas besoin de « prouver » en passant par une étape supplémentaire, qu'elles peuvent le faire. Elles ne devraient d'ailleurs pas avoir à le faire.

Rajouter une étape aux parcours des femmes pilotes

Car regardons de plus près la W Series et notamment le coté technique. Les monoplaces seront identiques, un châssis Tatuus de Formule 3 avec un moteur turbo 4 cylindres en ligne de 1.8L. Soit l'équivalent des Formule 3 actuelles. Autrement dit, cette formule ne s'adresse pas à des jeunes pilotes sortant tout droit du karting, mais à celles qui ont déjà une expérience de la monoplace.

Outre le fait que le niveau de la série nécessitera donc une première expérience en monoplace et que, logiquement, il n'aidera pas les jeunes filles à faire la transition entre le karting et la monoplace, il ajoute seulement une étape à ce parcours.

En effet, la structure pyramidale voulue par la FIA concernant les formules de promotions fait passer de la F4 à la FIA F3 puis à la FIA F2. La question se pose donc de savoir où se situe cette formule dans le parcours de la FIA. En marge, serait la réponse la plus évidente. Les jeunes femmes pilotes qui auront déjà eu une expérience en monoplace, pourront donc passer par cette W Series. Pour ensuite reprendre le parcours « normal » ? Quel est l'intérêt pour ces femmes pilotes ? Nous pouvons retourner le problème dans tous les sens, il s'agit toujours, à un moment de leurs parcours, de mettre les femmes de cotés.

La présence limitée des femmes pilotes

Il y a un vrai problème, clairement identifié sur ce point. Les femmes sont peu présentes. La raison est simple, il y a peu de filles qui s'intéressent au sport auto dès leur plus jeune âge. S'il y a moins de filles en karting, il y en aura encore moins en F4, encore moins en F3 et ainsi de suite. Le deuxième problème, évoqué par Pippa Mann est la difficulté pour les femmes pilotes à financer leurs parcours.

Bien souvent, les femmes pilotes peinent plus que les hommes à trouver des sponsors sur le long terme. Par manque de résultat? Peut-être, mais surtout par leur manque de visibilité et le manque de confiance que les sponsors ont en elles. Une certaine frilosité toujours présente dans les paddocks envers les femmes pilotes. Une frilosité qui s'estompe, certes, mais qui existe bel et bien.

Le résultat actuel est qu'il n'y a qu'une seule pilote en FIA F3, une seule pilote en GP3 et aucune en FIA F2. Il y a peu de femmes pilotes. Tellement peu qu'il faut se demander comment la W Series va alimenter ses 20 volants. Sachant qu'elle ne pourra pas prendre des pilotes sorties tout droit du karting, il va falloir piocher pour remplir cette grille. Alors pourquoi mettre en place une série de 20 monoplaces immédiatement ?

Une aide tout au long de son parcours

Promotionner le sport auto, inciter les jeunes filles à essayer le karting et la compétition, c'est un des points principaux pour améliorer cette situation. Mais c'est du long terme. Des résultats qui ne peuvent se montrer qu'après plusieurs années d'efforts. Les aider ensuite à progresser dans les catégories existantes, c'est le deuxième point. Cela passe par des aides financières directes et indirectes comme, par exemple, des structures de jeunes pilotes avec des coachs, des cours de marketing pour les aider dans la recherche de sponsoring, l'accès à des simulateurs, voire même la possibilité de faire des tests dans différentes équipes et différentes formules de promotions, etc..

Et une fois de plus, se sont des projets sur le long terme. Parce que rien ne change en un claquement de doigts. Et la FIA ne travaille pas depuis assez longtemps sur cette question pour que l'on en voit les résultats. La W Series n'est pas un projet sur le long terme. Elle est, tout au mieux un pansement sur une jambe de bois. L'intention peut être bonne. Mais aussi bonne soit-elle, cela ne rend pas l'idée plus intelligente qu'elle ne l'est.

Ce n'est pas à un instant T qu'il faut agir, ce n'est pas en faisant une série en marge du reste que cela aide les femmes sur le long terme. C'est dès le départ et à chaque étape de leur parcours qu'il faut apporter des modifications et les soutenir. Rendre le sport plus équitable, plus égale, doit se faire à chaque pas, à chaque course, à chaque victoire ou défaite. Et cela prendra du temps.