La saison 2020 sera amputée de certaines de ses destinations historiques, notamment le Grand Prix de Monaco. Ce qui n'est pas inédit dans l'histoire : la Principauté avait déjà snobé la F1 de 1951 à 1954, Monza eut sa propre absence en 1980 en faveur d'Imola. Enfin Spa-Francorchamps, en plus de sa première disparition dans les années 70, s'était retrouvé abandonné en 2003 et 2006, après avoir failli subir un premier couperet en 2000. Cela pour des raisons totalement extérieures au sport.
L'idée d'une saison de Formule 1 sans Spa-Francorchamps apparaîtrait comme insupportable pour bon nombre de puristes. Le circuit belge est régulièrement cité comme l'un des plus beaux tracés du sport automobile et même si certains virages ont quelque perdu de leur caractère avec les dégagements modernes, il conserve une aura certaine.
Cela étant, sa qualité propre et son histoire des plus riches ne le rendent pas intouchable pour autant. 2003 et 2006 se sont achevés sans passer par les Ardennes Belges. La deuxième fois était le résultat de la faillite du promoteur local, empêchant le financement des travaux nécessaires pour moderniser les infrastructures. 2007 marqua le retour avec un paddock et des stands remis à neuf, une troisième allitération de la chicane (celle encore en vigueur aujourd'hui)... et une entrée des stands bien trop étroite.
Pour 2003, le problème n'était en rien le tracé mais...l'orientation politique du pays. Le Parlement belge avait en effet avancé l'interdiction locale de la publicité pour le tabac au 1er août, là où la directive européenne pour la question était fixée pour juillet 2005. Or près de la moitié du plateau comptaient des marques de cigarettes parmi leurs partenaires financiers principaux.
Les équipes ne se voyaient pas masquer leurs logos et perdre une certaine somme d'argent, faisant déjà face à cet embargo en France, Grande-Bretagne et en Allemagne. Aucune des deux parties ne souhaita faire de compromis et Spa sauta du calendrier, bien qu'il était un temps question d'avancer l'épreuve en mai – en échange avec l'Autriche – pour éviter l'application de la loi.
Les élections législatives du pays en 2003 amenèrent une nouvelle majorité qui ajourna l'interdiction à la date européenne, d'où le retour du Grand Prix en 2004. La même année où l'Autriche disparut... pour les mêmes raisons que Spa l'année précédente ! Enfin, Spa-Francorchamps avait manqué de très peu ce couperet pour l'année 2000, non sans quelques menaces judiciaires ni luttes d'influence du côté de la sphère Ecclestone...
Friture sur les ondes...
Les législations anti-tabac ne datent pas d'hier, y compris en Belgique. Dès 1982, il était devenu illégal de faire la publicité du produit à la télévision et à la radio mais elle pouvait encore apparaître dans les magazines, journaux et sur les panneaux prévus à cet effet. Et fin 1997, le parlement belge étendit cette interdiction pour tous les supports à partir de l'année 1999. Or si en 2002, la présence des cigarettiers en F1 avait commencé à diminuer en anticipation des futures lois européennes, en 1997, ils étaient omniprésents. D'où une réponse sans équivoque d'Ecclestone : si aucune dérogation n'était permise pour la F1, alors elle ne reviendrait pas à Spa-Francorchamps.
L'enjeu était important pour la Belgique et pas uniquement vis-à-vis des bénéfices que tirait la région wallonne de son circuit prestigieux. A l'époque, les chaînes de télévision locales assuraient la réalisation de leur Grand Prix national et la RTBF ne faisait pas exception en dépit de ses moyens plus limités face aux mastodontes qu'étaient TF1, RTL ou la Rai. En effet, en échange de cet investissement, cela permettait au diffuseur belge de ne payer qu'une somme symbolique pour la retransmission annuelle de la Formule 1 sur ses ondes. La disparition de Spa au calendrier aurait mis fin à cet accord et le pays se serait retrouvé privé de F1 pour toute l'année !
Conscient de cette situation et considérant que le gouvernement était allé à l'encontre des prérogatives régionales, la région wallonne choisit d'amender sa propre législation pour contourner l'interdiction et tout simplement sauver le Grand Prix. Noble intention mais c'était oublier que le parlement fédéral avait de plus grands pouvoirs qui rendraient cet amendement caduque.
Pas de fumée sans feu...
Ainsi en 1999, le lundi de la course, les équipes arrivèrent à Spa-Francorchamps dispensées de tout camouflage, les Gauloises, West et autres Mild Seven étant parfaitement visibles. La réponse du parlement fédéral arriva par fax quelques heures plus tard et était limpide : si les équipes ne masquaient pas immédiatement les noms de leurs partenaires fumants, elles s'exposaient à des amendes de 500 000 dollars, voire à des peines d'un an de prison !
Des agents de l'inspection générale des denrées alimentaires furent dépêchés sur place pour faire respecter l'autorité. Face à cette menace, les équipes et représentants des cigarettiers baissèrent pavillon et effacèrent toute mention de leurs produits controversés.
Bernie passa tout le weekend à essayer de convaincre ses interlocuteurs d'afficher leurs logos malgré les menaces fédérales et alla jusqu'à proposer d'assumer les futures condamnations du parlement. Se doutant que les tribunaux n'allaient guère accepter un tel arrangement, équipes et cigarettiers refusèrent unanimement de donner raison à Ecclestone. Lui qui avait promis qu'aucune course supplémentaire ne subirait une loi anti-tabac locale, il fut contraint de lâcher prise.
On retrouva donc les habituels substituts des marques de tabac sur les F1... ou presque. Alors que le « Run Free » (« Roulez libres ») des BAR-Supertec en lieu et place du combo Lucky Strike/555 sonnait des plus ironiques au vu de la situation, Ferrari se distingua avec un camouflage aux antipodes de la transparence. Point de code barre ou de décoration abstraite mais... les logos F1 officiels de la FOM ! On en tire les conclusions que l'on veut...
De coup fumant à coup fumeux...
Si Bernie était si déterminé à enfreindre la loi, ce n'était bien entendu pas innocent. Déjà, il était promoteur de l'épreuve, donc bénéficiaire d'une bonne partie des revenus. Mais surtout, il craignait que ce bras de fer perdu fasse jurisprudence et pousse les autres pays européens à anticiper à leur tour leur interdiction de la pub tabac.
Ce qui aurait réduit la manne de ce sponsoring à sa plus simple expression sans laisser suffisamment de temps à des remplaçants potentiels pour équilibrer la balance. D'autant que le cas belge n'était pas isolé : un lobbying similaire envers le gouvernement britannique s'était retourné contre lui quand fut rendue publique sa donation d'un million de livres en faveur du parti travailliste !
Aussi, Ecclestone avait passé une bonne partie de l'année à se confronter à la Commission Européenne qui lui reprochait son monopole sur le sport automobile, notamment des négociations déloyales envers ses concurrents directs avec les chaînes de télévision. Une opposition qui retardait l'entrée en bourse de la Formule 1. Or Bernie avait beaucoup investi dans la télé digitale payante, avec sa diffusion de haute qualité dont pouvaient bénéficier les abonnés de Kiosque (Canal +) en France.
Sauf qu'un nombre limité de fans y avaient alors souscrit en Europe, trop attachés à une retransmission gratuite omniprésente sur le territoire (Autres temps...). En résumé, Ecclestone n'avait aucun intérêt à perdre plus de batailles qui mettraient à mal non seulement son équilibre financier mais son influence même sur le sport.
Pays (et coups)-bas
Il n'eut donc pas le moindre scrupule à annoncer la suppression de Spa-Francorchamps du calendrier une fois le Grand Prix conclus. De plus, cette édition fut marquée par le double carton des BAR-Supertec dans le Raidillon, un virage guère avare en destructions massives de carbone au cours de son histoire. On pointa ainsi du doigt l'aspect dangereux du circuit, lequel contribuait pourtant à sa légende. Mais avec son avenir inscrit en pointillés, tout prétexte était bon pour justifier son absence...
Or si Spa était appelé à disparaître du calendrier, un circuit se rappela au bon souvenir de tous pour essayer de reprendre sa place : Zandvoort. Le même tracé qui obtint son retour vingt ans plus tard avait contacté les constructeurs dès l'officialisation de la loi belge fin 1997 et les rumeurs se firent plus pressantes en 1999 quand le circuit reçut son homologation pour la F3000.
Les Williams effectuèrent même une démonstration courant août rameutant 40 000 personnes, ce qui témoignait d'un intérêt aussi bien du sport que du public, quand bien même leur héros local Jos Verstappen était alors sans volant. Les pilotes saluèrent la qualité du tracé côté pilotage mais soulignèrent aussi quelques manquements quant à la sécurité de l'ensemble. Une impression de déjà-vu ?
Au final, Bernie obtint ce qu'il voulait. Le gouvernement belge revint en arrière et s'aligna à nouveau sur les directives européennes. Spa-Francorchamps retrouva sa place pour 2000, une édition entrée depuis dans la légende grâce au fameux dépassement de Mika Hakkinen sur Michael Schumacher. Mais ce n'était pas la fin des conflits sous fond de législation anti-tabac. "Fume, c'est du belge" qu'ils disaient...