Si le monde de la F1 a été secoué par l'annonce de Lewis Hamilton chez Ferrari dès 2025, le refus concernant l'arrivée de l'équipe de Michael Andretti sur la grille reste présent. La F1 a-t-elle pris la bonne décision ? 

Cela semblait écrit d'avance. La belle histoire entre la F1 et la famille Andretti n'aurait pas pu connaître une autre issue. Le mercredi 31 janvier 2024, la F1 rejette l'arrivée de l'équipe de Michael Andretti sur la grille 2025, laissant une porte ouverte pour 2028 à une condition : que General Motors, partenaire du projet, construise son propre moteur.

Que reproche la F1 à la candidature d'Andretti ?

Dans son communiqué, Liberty Media a précisé les différents points qui ont été évalués et qui ont amené à cette conclusion. Il est précisé également que les équipes actuellement présentes n'ont pas été consultées.

Aucune augmentation de valeur du Championnat du Monde

Le premier point soulevé est le suivant : "Notre processus d'évaluation a établi que la présence d'une 11e équipe n'apporterait pas, en soi, de valeur au Championnat". En 2016, Liberty Media rachète la F1 pour la somme de 8 milliards de dollars. La valeur réelle de la F1 était de 4,6 milliards de dollars. A ce moment précis, l'action de la F1 (FWONK) avoisine les 28 dollars.

Au moment de l'annonce de la FIA, validant la candidature de l'équipe de Michael Andretti, l'action F1 est passée de 62,30 dollars à 68,59 dollars, soit une progression de 10% ! Ces derniers jours, l'action FWONK connait une fluctuation entre 66 dollars et 68 dollars. L'annonce de mercredi, à 16h30, a eu qu'une légère incidence sur la valeur boursière, rattrapée par la rumeur puis l'annonce surprise de Lewis Hamilton chez Ferrari.

Au-delà de l'aspect financier, le nom Andretti fait partie de l'histoire de la discipline. Mario Andretti a remporté le Championnat du Monde 1978 au volant d'une Lotus. Michael Andretti s'est essayé à la F1 avec McLaren. Leur nom résonne sur les circuits américains depuis 2002, lorsque le fils rachète une participation de l'équipe Forsythe/Green Racing. Mais le pinacle de la monoplace est clair à ce sujet : "Bien que le nom Andretti apporte une certaine reconnaissance aux fans de F1, nos recherches indiquent que la F1 apporterait de la valeur à la marque Andretti plutôt que l'inverse".

Le manque de compétitivité

Par le passé, la F1 a tenté à plusieurs reprises d'augmenter sa grille. Il y a eu l'arrivée en 2010 des équipes Manor (devenue Marussia par la suite), 1Malaysia (Team Lotus puis Caterham) et HRT. Les trois n'ont pas tenu la décennie. Haas a fait son arrivée en 2016 en utilisant un modèle économique totalement différent, un modèle qui l'empêche aujourd'hui de jouer des podiums.

Dans le communiqué, la F1 explique que "la manière la plus significative avec laquelle un nouvel arrivant apporterait de la valeur serait en étant compétitif. Nous ne croyons pas que le candidat serait un participant compétitif". Hypocrite comme argument, n'est-ce pas, quand on sait que la plupart des nouvelles équipes des dernières années n'ont pas remporté la moindre course.

La F1 rêve-t-elle d'un nouveau BrawnGP ? A-t-elle simplement oublié que l'équipe de Ross Brawn, reprise au dernier moment, n'est que le fruit du travail de Honda au cours de la saison 2008, avec une perfusion d'argent pour l'aider (234 millions de livres sterling de budget) ? Cela ne se reproduira pas dans l'immédiat car aucune des équipes présentes en F1 n'est à vendre.

Le moteur

"Le besoin d’une nouvelle équipe de louer un moteur obligatoire, potentiellement sur une période de plusieurs saisons, causerait des dégâts au prestige et au standing du Championnat", peut-on lire dans les conclusions de la F1. Cette seule phrase résume les nombreuses déclarations entendues depuis le début du projet Andretti. Au cours de l'été 2022, France Racing s'était entretenu avec Frédéric Vasseur, alors à la tête de l'équipe Sauber rebaptisée Alfa Romeo. Nous lui avions posé la question à l'époque.

"Nous avons les Accords Concorde qui limitent le plateau à 10 équipes, avec une possibilité d’accueillir une 11e équipe. L’idée est que cette dernière devait apporter quelque chose à la F1 en général. Quand nous avons eu cette réflexion au départ, nous avions pris l’exemple de Porsche. Un constructeur veut rejoindre la grille, sans racheter une équipe, on s’était dit que c’était bien pour la F1, et qu’on ne pouvait pas s’en priver", expliquait-il.

Ce qui dérange dans la candidature de Michael Andretti, pourtant soutenu par General Motors via Cadillac, c'est le simple fait que ce ne soit pas un autre constructeur. Ce problème s'étend également au MotoGP qui refuse de donner les deux places laissées vacantes par Suzuki à KTM, préférant attendre l'arrivée d'un nouveau constructeur. Si General Motors arrivait avec son propre moteur, avec Andretti, le problème aurait été tout autre.

Cependant, le problème de moteur d'Andretti pour les premières saisons était connu et la F1 semble avoir mis en lumière les articles 1.3.5 (ni le nouveau concurrent, ni aucune de ses sociétés affiliées ne doit être un constructeur automobile créé dans le but (entre autres) de participer au Championnat du Monde, sauf accord contraire du constructeur d'unité de puissance) et 1.3.6 (le nouveau concurrent ne doit pas avoir d'accord de parrainage en place avec une entité qui est en concurrence avec les activités principales d'un constructeur automobile qui sont également exercées par le constructeur d'unité de puissance, sauf accord contraire du fabricant d'unité de puissance) de l'appendice 6 du règlement sportif.

Un problème organisationnel

"L'ajout d'une 11ème équipe imposerait une charge opérationnelle aux organisateurs de courses, soumettrait certains d'entre eux à des coûts importants et réduirait les espaces techniques, opérationnels et commerciaux des autres concurrents", ajoute le communiqué de la F1. Comment le paddock a-t-il fait entre 2010 et 2012, lorsqu'il y avait 12 équipes engagées en Championnat du Monde ? D'autant qu'il y a encore aujourd'hui 15 Grands Prix présents au calendrier en 2024...

Cet argument est assez difficile à comprendre et à expliquer. On sait que le circuit le plus étroit au niveau de la voie des stands est Zandvoort mais la piste néerlandaise a lancé des travaux pour augmenter le nombre de garages.

Une porte ouverte pour 2028

Il est clair que l'arrivée d'une nouvelle équipe ne se fera pas au début de la nouvelle ère technique de la F1, prévue en 2026. Cependant, l'annonce de General Motors d'être motoriste dès 2028 pourrait être une solution pour voir Andretti en F1, à moins que la F1 ne cherche une autre solution pour n'avoir que le constructeur américain seul ou avec une autre structure.

"Nous étudierions différemment une candidature pour l’inscription d’une équipe au championnat 2028 avec un moteur GM, que ce soit une équipe d’usine GM ou une équipe client GM avec un design maison. Dans ce cas, il y aurait des facteurs additionnels au sujet de la valeur que le candidat apporterait au championnat, en particulier sur la manière dont il apporterait un nouveau motoriste prestigieux dans le sport", conclut le communiqué de presse.

Le monde de l'IndyCar s'insurge !

Le refus de la candidature de Michael Andretti n'a pas été apprécié par le monde de l'IndyCar, où court actuellement l'équipe américaine. Oriol Servià, vice-champion Champ Car en 2005, a été le plus rationnel dans son analyse.

"Je suis sûr que la décision doit être plus complexe qu’il n’y paraît pour certains d’entre nous, mais j’ai trouvé méprisables et insultantes les raisons à l’origine de cette décision. Andretti Global a apporté un financement, un engagement, un constructeur de premier plan avec Cadillac et GM, une équipe basée aux États-Unis, un ’charisme’ mérité et trois générations d’excellence dans le sport automobile. Il est difficile de convaincre du fait que Mario Andretti et Michael Andretti lui-même ne font pas partie des fondations de la F1 d’aujourd’hui. En tant qu’équipe, ils ont remporté quelques victoires dans tous les championnats auxquels ils ont participé : Indycar, IMSA, Formule E, Indianapolis 500, Extreme E, Indy Lights", explique-t-il.

Parmi les autres réactions, il y a celle de Graham Rahal, dont le père Bobby a été à la tête de l'équipe Jaguar au début des années 2000, qui explique que "la F1 est un sport élitiste. Ils ne veulent pas de nous. Ne l’oubliez pas. Ils veulent l’argent des entreprises américaines, ils veulent l’argent des riches particuliers américains. Mais ils se moquent du reste. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi". Scott McLaughlin, pilote Penske, tacle Liberty Media, entreprise américaine, et son plan d'expansion aux Etats-Unis (avec trois courses au calendrier 2024). "Une catégorie de course veut s’étendre aux États-Unis, mais n’autorise plus aucune équipe américaine à y participer. C’est logique", déclare-t-il.

Et si la vraie raison n'avait pas été donnée ?

Et si le communiqué de la F1 ne donnait pas la véritable raison du rejet de la candidature de l'équipe de Michael Andretti ? Cela vous semble farfelu voire ubuesque ? Et pourtant... il y a un détail qui n'est pas soulevé par Liberty Media et qui a une grande importance en F1 depuis 1981 : les Accords Concorde !

L'actuelle version expire à la fin de la saison 2025 et doit être renouvelée en 2026. Cet accord est important pour le partage des primes que Liberty Media distribue (1,157 milliard de dollars en 2022). Actuellement, la part du gâteau est répartie entre les dix équipes, d'une manière plus ou moins équitable (une partie divisée en dix, une autre selon la performance en piste et sûrement une prime exceptionnelle pour plusieurs équipes historiques). L'arrivée de Michael Andretti, malgré le fonds anti-dilution de 200 millions de dollars, aurait un effet néfaste sur l'argent reçu par les équipes. Intégré l'ancien pilote américain dans les discussions autour des futurs Accords Concorde ne serait pas une bonne nouvelle pour les équipes déjà présentes en F1. En tant que nouvel arrivant, il pourrait demander certains avantages, demander une révision du système d'attribution des primes... Tout ce que les équipes détestent !

Cela pourrait aussi permettre aux équipes d'instaurer une règle précise et bien définie du nouvel arrivant, en obligeant à ce que ce soit un constructeur par exemple. Cependant, une clause aussi restrictive pourrait interpeller la Commission européenne.